Le taux de natalité de l'Egypte augmente à mesure que les politiques de contrôle démographique disparaissent

Traduction d'un article paru le 2 mai 2013 sur le site du New York Times

LE CAIRE - Plus de deux ans après le soulèvement de Egypte, le nouveau gouvernement islamiste du pays a du mal à faire face à une baisse du tourisme et à son économie chancelante.

Mais il est aussi resté discret, sur un autre indicateur crucial qui a atteint un sommet depuis ces 20 dernières années : le taux de natalité du pays.

Dans une première approche sur la façon dont les dirigeants islamistes abordent la politique sociale dans l'État arabe le plus peuplé, on observe en fait, que les responsables ont évité le débat public sur la population et abandonné les campagnes de sensibilisation du passé.

Après deux décennies de baisse régulière ou d'augmentation modeste, le taux de natalité en 2012 a atteint environ 32 pour 1000, dépassant un niveau jamais atteint depuis 1991, peu avant la mise en place par Hosni Moubarak, des programmes de planification familiale et des campagnes de sensibilisation. Ces campagnes avaient pour but de freiner la croissance de la population qu'il accusait de paralyser le développement de l'Egypte.

L'an dernier, il y a eu 2,6 millions de naissances, ce qui porte la population à environ 84 millions d'habitants, selon les premiers chiffres du gouvernement.

Un agent de santé bénévole égyptien explique différentes options de contraception

Le nouveau gouvernement du président Mohamed Morsi a continué de financer des programmes de planification familiale. Mais les responsables de la santé ont adopté une vision nettement différente face à l'escalade du taux de natalité. Ils présentent le problème comme celui de la gestion économique, pas celui la taille de la population. Les experts de la population sont de plus en plus alarmés par le silence du gouvernement et son manque d'intérêt pour la question.

« Le taux de natalité est important. Ce n'est pas une bonne chose, d'ignorer le problème de la population », a déclaré Hassan Zaky, un démographe qui enseigne à l'Université du Caire et l'Université américaine du Caire. « Avant, il y avait une politique claire. Maintenant, nous ne savons pas où nous allons. Nous ne savons pas quel est le point de vue de l'Etat ».

Les responsables gouvernementaux mettent en cause la transition chaotique de l'Egypte et l'absence de débat public. Mais le changement de priorités reflète également une critique de longue date entre les islamistes et la politique de population de M. Moubarak. Pendant des décennies, les Frères musulmans et les ultra-conservateurs ont été irrités par la mise en place par M. Moubarak de politiques de promotion de la contraception et de la famille de deux enfants. M. Moubarak a utilisé la planification familiale – d'origine étrangère - pour masquer ses échecs de économiques, insinuent certains islamistes.

« Notre vrai problème est l'organisation », a déclaré Hamid al-Daly, un représentant du Parti ''Nour'', ultra-conservateur et membre du comité de santé à la Chambre haute du Parlement égyptien. « La population de la Chine dépasse le milliard, mais il y a une bonne gestion et une bonne utilisation des ressources. La population est une bénédiction si nous nous en occupons bien, et une malédiction si nous gérons mal la crise ».

De nombreux travailleurs de la santé publique s'entendent pour dire que l'approche de M. Moubarak, qui a été soutenu par les bailleurs de fonds internationaux, n'a jamais été une solution en soi. Mais ils disent aussi que le silence du gouvernement actuel sur le sujet, ne fait qu'empirer le problème.

« Personne ne dit que nous devrions nous concentrer uniquement sur la planification familiale, ou bien seulement sur le développement », a déclaré M. Zaky. « Nous avons besoin d'un mélange. Nous ne voulons pas que le nouveau régime se concentre sur une seule chose ».

Au fil des décennies, l'accroissement du taux de natalité de l'Egypte a conduit à l'étouffement de ses villes. De nombreuses terres fertiles le long du Nil ont disparues sous les nouvelles constructions, tandis que les Egyptiens se serrent de plus en plus sur le petit pourcentage du pays (5 à 10%, le reste étant constitué de déserts, NDLR) que le gouvernement peine à développer. Les Egyptiens fustigent leurs dirigeants par des railleries qui ont illustré la crise : « alors que les présidents sont habillés à la dernière mode, nous vivons à sept dans une pièce », entend on.

Le rôle formel de l'État dans la planification familiale a débuté dans les années 1960 sous le président Gamal Abdel Nasser. À la fin des années 1970, l'Agence américaine pour le développement international est devenue le principal soutien des programmes de planification familiale en Egypte, et a dépensé environ 1,5 milliard de dollars sur d'autres programmes de population et de santé sur plusieurs décennies. Les efforts visant à freiner la natalité se sont intensifiés après 1994, lorsque l'Egypte a accueilli une Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD).

Des milliers de cliniques ont été construites à travers le pays, et les services de planification familiale et d'autres services de santé ont abouti à la diminution du taux de fécondité ainsi et des taux de mortalité maternelle et infantile. Les efforts de sensibilisation de cette période ont consisté en des publicités sur la télévision d'Etat et des bannières dans les rues du Caire, avec des slogans comme : « Avant d'avoir un autre bébé, assurez vous de ses besoins.»

Le Dr. Nahla Abdel-Tawab, le directeur pour l'Egypte du ''Population Council'', organisme à but non lucratif, a dit des années Moubarak : « Le président parlait lui-même de l'augmentation de la population. C'était dans les journaux, dans les discours du Premier ministre ».

De nos jours, le sujet concernant la population semble disparaître de la discussion publique. Les agents de santé se sont dit stupéfaits lorsque le Dr Abeer Barakat, ministre adjoint à la santé et responsable de la planification familiale, n'a fait aucune mention explicite, lors d'une conférence des Nations Unies en décembre, sur la démographie ou la planification familiale, lorsqu'il a décrit les priorités du ministère de la Santé.

Dans une récente interview, le Dr. Barakat a dit qu'elle avait simplement essayé d'aborder dans le débat, l'équilibre de la population et la planification, afin de refléter les priorités du nouveau gouvernement : « ce qui aurai été choquant, c'est que je parle de la planification familiale comme une composante de la santé de la famille».

Le Dr Barakat, qui était une ancienne fonctionnaire des Frères musulmans avant de rejoindre le ministère de la Santé, a déclaré qu'elle cherchait à corriger les déséquilibres dans l'approche du gouvernement précédent relatifs aux soins de santé. M. Moubarak, dit-elle, « était partial », face à la planification familiale et a ignoré les préoccupations urgentes telles que le cancer et l'hépatite C.

Et, bien qu'elle ait déclaré, que les programmes de planification familiale devraient continuer à faire partie de la politique de santé, elle a également déclaré que le gouvernement ne devrait jouer aucun rôle en encourageant les familles à limiter leur nombre d'enfants. « Attribuer un nombre est contre la liberté de reproduction, et contre les droits de l'homme », a t-elle dit. « Ce ne sont pas des lapins qui ne cessent de se multiplier » a-t-elle dit, « Les hommes sont un trésor.»


Parmi les membres d'une grande famille dans le Grand Caire, l'approche du nouveau gouvernement est plus populaire que celle de M. Moubarak.

Mohamed Rabia Ali, 62 ans, un ouvrier du bâtiment qui vit avec sept membres de sa famille dans un appartement exigu, a déclaré que M. Morsi devrait établir de nouvelles communautés dans le désert pour atténuer la crise du logement, et de se concentrer sur l'emploi des jeunes. Le gouvernement n'a pas besoin de dire combien d'enfants égyptiens sont à naitre. « Le créateur se charge de sa création », a t-il dit.

Mais pour l'instant, les plans de développement grandioses qui pourraient atténuer la surpopulation ont pris une part congrue alors que le gouvernement se concentre sur l'alimentation de ses citoyens. « Les principaux enjeux sont la sécurité alimentaire » a déclaré le Dr Atef El Shitany du Conseil national de la population. En conséquence, l'engagement politique sur les questions de population est en baisse.»

En attendant, les experts tentent de déterminer si les dernières pointes de natalité représentent un renversement des tendances à long terme de l'Egypte qui était marquée par la baisse des taux de fécondité. Ils travaillent dans l'ombre parce que l'enquête démographique, complète de l'Egypte a été repoussée.

« Les derniers pics de population pourraient représenter des changements de comportement résultant de la révolution, parce que les gens sont sous pression », a déclaré Hisham Makhlouf, qui enseigne la démographie à l'Université du Caire. « C'est une théorie», a-t-il dit. « L'autre, serait que cela vient du fait que personne ne parle du problème de la population comme avant.»

Pour aller plus loin

« L’Egypte envisage de réduire l’âge minimum du mariage pour les filles de 18 à 13 ans »...

En français sur l'Express.be du 1er avril 2013 et en anglais sur le Guardian.