Une histoire de la planification familiale en Inde
Cet article de Subhabrata Mukhuti a été publié initialement sur le site The circle for humanity sous le titre :
« Un rendez-vous Indien avec le planning familial. Avant et Maintenant ».
Inde | Mumbai (Bombay) | Station de Borivali, entre 8 et 9h du matin
« L’Inde tente de freiner son taux de natalité en offrant des primes », rapporte le New York Times du 21 Août 2010, commentant un projet pilote lancé à Satara district dans l’état de Maharashtra. Le projet prévoit de gratifier de 106 $ cash, les couples qui sont d’accord pour attendre deux ans après leur mariage pour avoir leur premier enfant . Ce sont des nouvelles encourageantes pour ceux qui se soucient du problème de surpopulation, mais un échec serait cette fois désastreux, au vu de l’expérience des années 1970.
Un chapitre oublié
L’Inde a été l’un des premiers pays à se lancer activement dans la planification familiale au milieu des années 1970. Sanjay Gandhi, avait une influence considérable sur sa mère Indira Gandhi, et celle-ci, premier Ministre Indien, entreprit un programme en 5 points pour la promotion de l'alphabétisation, la promotion de la régulation des naissances, la plantation d'arbres, l'abolition de la dot et du système de castes. Sanjay Gandhi a présenté une campagne de planification familiale ambitieuse, être moins nombreux mais plus prospère et atteindre l’autosuffisance en Inde. Initialement, cette politique a bénéficié de soutiens inattendus, comme celui des partis de gauche et des médias.
Il était considéré comme un visionnaire, mais aussi comme un homme très volontaire, quelqu'un de pressé. Son empressement a conduit des représentants du gouvernement et des officiers de police à pratiquer de force des vasectomies, à "castrer" des jeunes hommes, et, dans certains cas, à stériliser des femmes. Officiellement, les hommes avec deux enfants ou plus ont dû se soumettre volontairement à cette épreuve, mais de nombreux jeunes célibataires, des opposants politiques et des gens peu cultivés, ont également été stérilisés. Était visée la population pauvre et sans instruction, surtout celle des régions éloignées afin de maintenir le secret. Mais la rumeur s'est répandue, et la colère contre ces moyens déloyaux s’amplifia tragiquement.
L’opposition profita de la colère du peuple et se déchaina. Les groupes religieux, les défenseurs des droits de l'homme de la planète entière exprimaient leur fureur. Sanjay Gandhi est devenu la personne la plus détestée de tout le pays. Il est devenu un handicap pour son propre parti, mais il a continué à être toléré en raison de l'influence qu'il avait sur sa mère. En 1977, son parti, le parti du Congrès a été dissout. Mais la coalition de l'opposition, avec ses luttes internes, était trop faible pour récolter les bénéfices de l'impopularité de Sanjay Gandhi et Indira Gandhi a repris le pouvoir dans une élection anticipée qui eut lieu en 1980. À la surprise générale, Sanjay Gandhi a également remporté son siège parlementaire dans la circonscription Amethi de l'état de l'Uttar Pradesh.
Sanjay Gandhi mourut dans un terrible accident d'avion, la même année, et avec lui, ses idées ambitieuses de contrôle des naissances. Le New York Times publia ces lignes à cette occasion : « la mort de Sanjay Gandhi, comme celle d'un tyran d’une tragédie classique, peut aider sa terre natale à se libérer. Bien que la réaction première de l'Inde a naturellement été de la sympathie ... un sentiment de soulagement est sûr de s'imposer.»
Post-Mortem
L’écrasante majorité des dirigeants indiens n'a pas compris que l'impopularité de Sanjay Gandhi n'était pas due au principe de sa politique de planification familiale, mais à son exécution très maladroite. Les responsables de son application ont commis beaucoup d’abus. Sa décision de déclarer l’état d’urgence national en Inde (1974-1977) a également contribué à enfler la colère publique. Les quelques élus qui ont vu clair, et qui voulaient mettre ce fait en évidence et rectifier la situation ont été totalement submergés par l’opposition. L’administration au pouvoir, a pesé de tout son poids pour éliminer tout souvenir de cette action, et a veillé à ce que l'expression "planning familial" ne soit plus jamais prononcée. Le concept de "bien être familial" est alors apparu. Les souhaits des religieux radicaux et des partisans du « tout-va-bien-dans-le-meilleur-des-mondes » se sont imposés. La première étape, celle de faire de la surpopulation un sujet absolument tabou en Inde, était parachevée...
Lentement cependant, une certaine confiance est revenue, et une campagne intitulée « Nous deux | Nos deux » a été lancée, qui ne se concentre sur aucune mesure pro active, ou incitation, mais plutôt sur la publication massive dans les médias du concept « 2 enfants maximum par famille ». Des préservatifs (nommés "Nirodh") distribués, à l'origine, gratuitement par l'USAID, ont été ensuite distribués par le gouvernement aux consommateurs à un prix réduit, dans une campagne de marketing adroite dont l'inspirateur fut Peter King de la Fondation Ford. Une nouvelle campagne de publicité à la télévision et des panneaux de Nirodh ont rencontré un certain succès auprès de la population alphabétisée, mais n'ont pas réussi à atteindre les zones reculées.
Le marché indien s’est ouvert au monde en 1991, suite à l'effondrement de l'Union soviétique, ainsi que devant ses propres risques et périls économiques. Les médias ont suivi le mouvement, mais aucune chaîne privée n’a osé s'aventurer sur le terrain si sensible de la démographie, craignant pour leur audience. Le tabou politique a perduré. L'étape la plus importante contre la surpopulation en Inde a échoué en raison d'un manque de planification, d'un manque d'infrastructures et d'un manque de suivi pour garantir une application juste et équitable. Et cela a eu des répercussions dans les décennies suivantes, jusqu'à aujourd'hui.
Situation actuelle
Wikipedia définit la famine comme étant « une pénurie généralisée des denrées alimentaires touchant toutes les espèces de la faune. Ce phénomène est généralement accompagné par des épidémies, et un accroissement de la mortalité ».
L'Inde est classée 65ème sur 84 pays dans l'indice mondial de la faim de 2009, au-dessous de pays comme la Corée du Nord ou le Zimbabwe.
46% des enfants indiens souffrent d'une forme de malnutrition, parfois légère à modérée mais parfois aussi grave. Le nombre d'enfants présentant une insuffisance pondérale et de malnutrition en Inde est en fait plus élevé que celui de l'Afrique subsaharienne. Cette situation a de graves répercussions sur leur croissance et leur éducation. La malnutrition est l'une des principales causes de la mortalité infantile et juvénile. « Je n'ai jamais vu un pays avec une croissance économique aussi rapide et un niveau aussi pathétique de malnutrition », a déclaré Lawrence Haddad, directeur de l'Institut du Royaume-Uni d'études du développement.
Sans aucun doute, la nation indienne est en train de vivre silencieusement la grande famine du nouveau millénaire.
Selon la Banque mondiale, 43% des enfants souffrant de malnutrition se trouvent dans 4 États - le Bihar, le Madhya Pradesh, le Rajasthan et l'Uttar Pradesh. Il est à noter que ces 4 États, que l'on appelle les États BIMARU, ont une population élevée, un taux de fécondité élevé et l'analphabétisme y est généralisé. Ironie du sort, le mot BIMARU a une ressemblance avec un mot hindi "Bimar" qui signifie "malade".
Les familles indiennes à revenu moyen ou élevé prennent de plus en plus conscience de la question de la surpopulation. La plupart des ces familles ont à présent volontairement 1 ou 2 enfants. Ces enfants reçoivent une bonne éducation et ont à leur tour, une grande chance de réussite sociale. Mais cette tranche de population ne représente que 300 millions de personnes sur une population totale de 1,17 milliards. L'écrasante majorité continue d'ignorer l'importance de la planification familiale. La situation s'aggrave avec la baisse des revenus. Il n'est pas rare de trouver des paysans pauvres, souffrant de malnutrition causée par 2 années de sécheresse, suivies d'inondations, et ayant néanmoins 4 ou 5 enfants. Ils ne bénéficient pas d'une bonne nutrition, encore moins d'une bonne éducation, et le cycle se répète. Les enfants qui héritent d'un quart ou d'un cinquième de la terre des parents, n'ont d'autre alternative que de la vendre, celle-ci étant devenue trop petite et inadaptée à l'agriculture mécanisée, et de trouver d'autres sources de revenus. Des terres précieuses, capables de produire des aliments, sont perdues quotidiennement par ce phénomène.
Bilan
- Inflation : les 300 millions d'Indiens qui ont un pouvoir d'achat confortable ont des besoins plus importants que ce que l'Inde peut produire et la lutte pour des revenus stables ne cesse de croître.
- La disparité des revenus : les familles à revenu moyen deviennent plus riches, tandis que les familles à faibles revenus sont handicapées par leurs nombreux enfants. Ces derniers, les plus vulnérables, sont aussi plus touchés par l'inflation.
On rencontre en Inde, tous les problèmes associés à la surpopulation, comme la déforestation, la destruction des terres agricoles pour laisser place à l'expansion industrielle ou aux habitations, la gestion des attentes d'une population énorme, la baisse du niveau d'eau des nappes phréatiques, la pollution accrue par les déchets, l'accroissement des nuisances créés par les automobiles.
Govind Narain, Secrétaire du Ministère de la planification familiale de la santé et du Département du développement urbain dans les années 1960, a exprimé les perspectives du gouvernement : « Le taux de croissance élevé de cette importante population ... pose d'énormes problèmes socio-économiques non seulement pour le maintien d'un niveau de vie minimum, mais plus encore pour l'accroître. Un vaste plan de développement par le biais d'augmentations importantes de la production agricole et industrielle a déjà été neutralisé par la croissance démographique. L'accroissement du marché de l'emploi, des logements, des établissements d'enseignement et autres a été presque entièrement englouti par l'accroissement rapide de la population ». Ceci résume à peu près la situation qui reste d'actualité encore aujourd'hui.
En dépit de tout cela
- L'attention des médias sur la question de la surpopulation reste pathétique avec la glorification du fait (honteux) d'être plus de 1 milliard.
- Les politiciens évitent d'aborder cette question de peur de s'aliéner les religions et leurs adeptes.
- Il n'y a pas assez de demande du public pour faire de ce sujet une question électorale, les gens ne sont pas sensibilisés sur les effets néfastes de la surpopulation.
- Un pourcentage non négligeable d'économistes indiens affirme que ce sont des problèmes de distribution, et non la surpopulation, qui sont les principaux facteurs de la faim généralisée qui afflige l'Inde.
- L'attrait des villes augmente. Les indiens des villes vivent ainsi dans une "bulle" une situation socio-économique qui reste largement à améliorer.
- La plupart des Indiens des villes considèrent la corruption comme étant le plus grand problème auquel doit fait face le pays, alors qu'en réalité tous ces problèmes se résument à celui de la surpopulation.
Les bonnes nouvelles
Même avec le peu d'action que l'inde a réalisé ces 3 dernières décennies, 7 de ses 28 États ont déjà atteint le seuil de remplacement, c'est-à-dire un taux de fécondité de 2,1 ou moins, et ont donc vu leur population stabilisée. Trois autres États devraient les suivre dans les dix prochaines années. Ce sont surtout les États où l'alphabétisation a été traditionnellement élevée. Une autre bonne nouvelle est que quelques États récemment entrés au Parlement, qui n'y étaient pas dans les années 1970, commencent à nouveau à aborder cette question. La volonté politique pour franchir une étape dans la lutte contre la surpopulation semble revenir lentement, comme le montre le projet pilote de Satara cité en introduction.
Lorsque la politique de contrôle des naissances de Sanjay Gandhi a été lancée, l'Inde comptait environ 620 millions d'habitants. Si cela avait été un succès, la situation aurait été grandement améliorée par rapport à celle qui prévaut aujourd'hui. Une politique humaine et rationnelle de planification familiale, s'affranchissant du système des castes, des religions et des richesses et basée sur les nécessités du moment devrait voir le jour. Espérons que le gouvernement indien a appris de ces erreurs des années 1970 et va mettre en place une infrastructure adéquate pour surveiller sa bonne et juste application.