L'explosion démographique, menace pour le développement de l'Afrique ?



Article publié le 17 novembre 2011 sur le site de l'Agence Française de Développement (AFD)


Dans le débat sur les liens entre démographie et développement, Jean-Pierre Guengant, chercheur et auteur de "Comment bénéficier du dividende démographique ?", répond à nos questions. Selon lui, l'explosion démographique que connaît l'Afrique, et inédite dans l'histoire, est enjeu de pouvoirs. Elle pourrait grever lourdement ses perspectives de développement.

Jean-Pierre Guengant, directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche et de développement (IRD), vient de publier une étude réalisée, en collaboration avec Yarri Kamara, économiste à ICI, dans les pays d’Afrique de l’Ouest. L’étude intitulée "Comment bénéficier du dividende démographique ?", écrite dans un style limpide, porte un regard d'expert, sur la place centrale de la démographie dans les trajectoires de développement en Afrique de l’Ouest.


Quelle est l’originalité de la période que traverse la population mondiale actuellement, et africaine en particulier ?
De 1500 à 1900, la population mondiale a été multipliée par quatre. Ce fut le fait de l’Europe et de l’Asie principalement. La population africaine à stagné pendant cette période, du fait de la traite et d’une charge épidémiologique plus importante.
Le XXème siècle est le siècle de l’explosion démographique dans le monde entier. Pour l’Afrique, c’est le siècle du rattrapage. La population africaine a été multipliée par 8, passant de 100 à 800 millions environ.
Mais le XXème siècle, c’est aussi le siècle de la révolution contraceptive et de la limitation des naissances. Dans les trois dernières décennies, la fécondité passe de 6 voire 7 enfants par femme à environ 2 dans les pays en développement. Pratiquement partout sauf en Afrique.
Les pays européens ont réalisé leurs révolutions contraceptives en cent voire 150 ans mais avec, au départ, des niveaux de fécondité relativement élevés et des niveaux de mortalité également élevés.
Les pays émergents, ont réalisé leur transition démographique et leur révolution contraceptive en une quarantaine voire une cinquantaine d’années.


Et en Afrique subsaharienne ?
Actuellement en Afrique, on est sur des trajectoires longues de plus de cent ans. Un des freins majeurs, en Afrique subsaharienne, c’est que la demande totale en planification familiale est faible. Le nombre d’enfants désirés est toujours fort.
Au XXIème siècle, dans le monde en développement, seule l’Afrique sub-saharienne connaît une explosion démographique, inédite dans l’histoire, et ne parvient pas à maîtriser ses taux de fécondité alors que la mortalité a fortement baissé.
La part de la population de l’Afrique subsaharienne dans la population mondiale devrait passer de 12% en 2010 à 31% ou 37% en 2100 (selon les hypothèses).


Quel est l’impact de cette explosion démographique sur le développement du continent ?
L’impact est négatif pour l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). La croissance économique actuelle de l’Afrique, relativement importante, est absorbée par le coût des investissements sociaux, qu’on appelle, d’ailleurs, les investissements démographiques. Le coût des investissements sociaux absorbe la croissance économique et ces investissements n’atteignent jamais leurs objectifs. Des efforts gigantesques ont été consentis depuis une cinquantaine d’années dans les domaines de l’éducation et de la santé en Afrique subsaharienne. Mais malgré ces efforts, les pays et les budgets ont passé leur temps à courir derrière la démographie. Si votre population double en vingt ans, comment pouvez-vous suivre, que ce soit en termes quantitatifs (alimentation, équipements, personnels) ou qualitatifs (qualité des soins, des enseignements, etc.). Résultat : on n’a réussi ni la scolarisation universelle, ni la santé pour tous.

Néanmoins, une croissance économique & démographique forte conduisant à une augmentation de la main-forte peut constituer pendant un certain laps de temps un atout pour le développement, à condition qu’on puisse garantir à la population d’être nourrie et d’être (et de rester) en bonne santé, correctement éduquée, et d’avoir des opportunités d'emploi rémunérateurs.

Mais l’accélération de la croissance économique dans les autres régions du monde, notamment dans les pays émergents, est le résultat de plusieurs facteurs. Selon plusieurs études récentes, la diminution de leurs taux de dépendance (nombre de personnes à charge) est le facteur qui a joué le rôle le plus déterminant. Cette diminution des taux de dépendance est le résultat de politiques ou de programmes mis en œuvre dans ces pays dans les années 1960, visant explicitement à maîtriser la fécondité et à réduire la croissance démographique.


Qu’entend-on par dividende démographique ? Et comment l’Afrique peut-elle y parvenir ?
Le dividende démographique, c’est cette opportunité - que l’on devrait saisir dans les cinquante ans à venir en Afrique – pendant la transition démographique. C'est-à-dire la période pendant la quelle la mortalité et la fécondité sont progressivement maitrisées, ce qui permet donc d’avoir une réduction de la croissance démographique, et donc une réduction du nombre de personnes à charge. Ainsi, les économies réalisées de facto peuvent être allouées à des investissements productifs et à l’amélioration du capital humain.
Pour arriver à ce résultat, il faut que la fécondité baisse. Et pour que la fécondité baisse, il faut qu’il y ait augmentation de la demande de planification familiale et des pratiques contraceptives. Ce qui ne va pas de soi dans des géographies, des cultures où la fécondité est très valorisée et le statut de la femme pas très favorable

Pour arriver à ce résultat, il faut que la fécondité baisse et pour que la fécondité baisse, il faut qu’il y ait augmentation de la contraception.
L’enjeu des transitions démographiques, c’est la stabilisation des naissances à leur niveau actuel qui permet justement de bénéficier de ce qu’on appelle la fenêtre d’opportunité démographique.
C’est cette période unique dans l’histoire des populations où l’on passe d’une très forte croissance démographique à une croissance qui se réduit progressivement - et qui se réduit d’abord par une stabilisation du nombre des naissances.
La période qui suit, c’est la période de la décélération où on arrive à un nouvel équilibre avec une mortalité maitrisée et une fécondité également maitrisée, avec évidemment un statut différent des femmes.
Concrètement, pour parvenir à cette transition en 50 ans et non en cent ou deux cents ans, il faudrait que dans les 20 ou 30 qui viennent le taux de fécondité passe de 6 ou 7 ans enfants par femme à 3 ou 4.


Pourquoi l’Afrique n’a pas connu cette transition démographique ?
Les pays d’Afrique subsaharienne ont eux aussi adopté des politiques de maîtrise des naissances mais avec 20 ou 30 ans de retard. Les résultats ont été décevants pour plusieurs raisons : la multiplicité des problèmes en matière de santé auxquels ces pays sont confrontés. Mais c’est aussi – et surtout ?- du fait d’une faible mobilisation des autorités, des sociétés civiles (et même des bailleurs de fonds) sur la nécessaire évolution des mentalités et des pratiques. Il faut dire qu’on met le doigt sur des questions centrales tel que celle de la place des femmes dans la société. Nous sommes dans des enjeux de pouvoir : pouvoir des hommes sur les femmes, des anciens sur les jeunes et des élites politiques sur la société civile.

Mais le maintien d’une croissance démographique aussi forte en Afrique subsaharienne pendant plusieurs décennies n’est pas soutenable. Il est temps d’opérer un vrai changement de mentalité, de provoquer un débat et d’amorcer une réflexion si l’on souhaite que ces pays se développent. Historiquement parlant, il n’y a pas d'exemples de pays qui se soient développés en gardant 5 ou 6 enfants par femme en moyenne. Parmi les 10 pays « en développement » du G20, tous sauf un avaient au début des années 1960 entre 5 et 7 enfants par femme. Aujourd’hui ces mêmes pays ont entre un 1,4 et 2,6 enfant par femme. Pour cela il a été nécessaire de développer l’information sur la planification familiale et l’accès aux services correspondants. Et la maitrise de la fécondité dans ces pays a d’abord été un levier favorisant leur développement, développement qui a permis parallèlement d’accélérer l’utilisation de la contraception et aussi l’émancipation des femmes.