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Argumentaire en faveur de la limitation des naissances au niveau mondial

 

La question de la limitation des naissances, indispensable pour conserver les équilibres écologiques, est sujette à débats depuis l’essor de la philosophie des Lumières (XVIIIème siècle) et les écrits de Thomas Malthus (1766-1834). Cette réflexion est une réponse à l’explosion de la population humaine depuis 1750, due aux innovations médicales, aux progrès techniques et au développement économique, qui a bouleversé tous les équilibres écologiques précédents. De nombreux ouvrages ont traité de ces questions. Cette note remet au goût du jour les principaux arguments avancés en faveur de la maîtrise de la fécondité, la fameuse ''transition démographique'' qui doit, à terme, permettre de rétablir les équilibres démographiques et écologiques au niveau mondial, suite aux déséquilibre créés par l’extraordinaire baisse de la mortalité qui perdure depuis deux ou trois siècles.

1) Droits de la femme et du couple (niveau individuel)

Hormis les femmes stériles, cas qui reste rare (2% des femmes), pratiquement toutes les femmes ont besoin à un moment ou un autre de leur vie génésique de contrôler leur fécondité : pour éviter une naissance avant le premier mariage, pour éviter une naissance au cours des périodes hors mariage (veuvage, divorce, séparation), pour éviter une naissance lors de périodes difficiles (problèmes de santé, difficultés économiques, situations sociologiques ou psychologiques pénibles, etc.), pour espacer les naissances, et enfin pour limiter le nombre de naissances lorsqu’il excède le nombre désiré ou les capacités de la famille. Les femmes et les hommes souhaitent aussi profiter pleinement de leur sexualité sans craindre une grossesse non-désirée.

En conséquence, femmes et hommes ont droit à une information précise sur le sujet et à un accès sans restriction aux diverses méthodes de contraception et de contrôle des naissances. Et lorsque les couples ont accès à cette connaissance et à ces méthodes, l’expérience montre qu’ils les utilisent à bon escient, et que, à terme, ils adoptent une solution qui conduit à une stabilisation de la population, la norme étant la famille de deux enfants (avec de nombreuses variantes). Cette évolution s’est produite dans les pays européens au XIX° siècle, et dans la majorité des pays du Tiers Monde depuis 1950, à l’exception de certains pays africains encore en retard dans le processus en 2018.

2) Équilibres écologiques (niveau collectif)

De nombreux équilibres écologiques dépendent de la taille de la population du fait du caractère limité de tous les environnements physiques nécessaires à la vie sur terre (eau, air, terre habitable, terre arable, etc.), et des nombreuses interactions entre environnement physique et espèces végétales et animales.
- Équilibre population humaine / ressources hydriques : la première limitation à la vie sur terre (animale ou végétale) est l’eau douce. Lorsque la population explose, l’accès à l’eau devient un enjeu majeur, une source de conflits et de violence, et dans les cas extrêmes de disparition des populations (Sahara, Mésopotamie). Certes des innovations récentes, telles que le dessalage de l’eau de mer ou le recyclage des eaux usées, pourraient permettre d’alléger cette contrainte, mais là encore avec des limites physiques importantes et des coûts financiers considérables.
- Équilibres population humaine / terres arables : la seconde limitation est celle des terres arables, qui déterminent la production agricole (agriculture, élevage) et donc la nourriture (c’est l’argument central de Malthus). Notons que l’extension de l’agriculture s’est faite au détriment de la faune sauvage, que pratiquement toutes les terres arables sont déjà cultivées, et que plus les zones urbaines et industrielles s’étendent, plus les terres arables se réduisent. Jusqu’ici l’augmentation du ratio d’habitants par surface de terre arable a été compensée par l’augmentation des rendements agricoles, mais ceux-ci ont aussi leurs limites, ainsi que de nombreuses externalités négatives (appauvrissement des sols, pollution des sols, transformations des environnements nécessaires à certaines espèces sauvages, etc.).
- Équilibres populations humaines et populations animales : cet équilibre est en général bénéfique aux deux espèces. Lorsque les populations humaines sont trop denses, les populations animales disparaissent : d’abord les grands prédateurs (loups, ours, lions, etc.), puis les mammifères sauvages, et à terme de nombreuses autres espèces (insectes, oiseaux). En Afrique, cet équilibre avait été très bien préservé depuis quelques 100.000 ans que les êtres humains (homo sapiens) occupent le continent, mais il disparaît très rapidement depuis un siècle du fait de la pression démographique, et devrait être en grande partie détruit au cours du 21ème siècle si les tendances actuelles continuent. Notons que maintenant la présence de la faune sauvage est à nouveau considérée comme souhaitable, après avoir été honnie pendant des siècles en Europe.
- Équilibres populations humaines et environnement végétal : de nombreux environnements occupés par la flore, en particulier les forêts, sont fondamentaux pour la production d’oxygène et l’absorption du gaz carbonique, un des principaux gaz à effet de serre. De même les zones humides (marais, mangroves) sont nécessaires à de nombreuses espèces animales (oiseaux, batraciens, insectes, etc.).
- Populations humaines et émissions de gaz à effet de serre : de nombreuses activités humaines produisent des gaz à effet de serre, qui causent un réchauffement climatique susceptible de menacer la survie de nombreuses espèces et même de causer une augmentation du niveau des mers. Ces émissions proviennent des productions industrielles, de la production d’énergie (chauffage, électricité), des transports (air, route), etc. Toutes sont fonction de la taille de la population et du niveau de développement économique. Elles pourraient avoir pour conséquence la fonte du permafrost, qui produirait de gigantesques émissions de méthane, autre puissant gaz à effet de serre, ce qui renforcerait le phénomène.
- Populations humaines et pollutions : les divers progrès techniques qui ont révolutionné l’agriculture et la production de biens et services ont souvent des conséquences négatives : pollutions diverses, poisons de toute nature, qui peuvent affecter de nombreuses espèces animales (oiseaux, abeilles, insectes), et végétales, y compris l’espèce humaine. Ces pollutions sont d’autant plus importantes que la taille de la population humaine est grande et que le progrès technique est avancé (nucléaire, produits chimiques, insecticides, etc.). Certaines de ces pollutions, comme les perturbateurs endocriniens, affectent même directement le métabolisme du corps humain.
- Populations humaines et épuisement des ressources fossiles : l’augmentation de la population ainsi que la mise au point de nouvelles techniques d’exploitation conduisent à l’épuisement des ressources fossiles (non renouvelables): eaux fossiles en zone aride, hydrocarbures, métaux rares, etc.
- Populations humaines et surexploitation des ressources renouvelables : la surpopulation conduit aussi à la surexploitation de certaines ressources renouvelables, comme la surpêche dans les océans. Une synthèse récente de travaux scientifiques du monde entier a mis en évidences les énormes changements qui se sont produit entre 1960 et 2015, période au cours de laquelle la population mondiale est passée de 3,0 à 7,3 milliards d’habitants : augmentation considérable de la température du globe et de la concentration en dioxyde de carbone (CO2) ; apparition de zones mortes dans les océans et de gigantesques poubelles de plastique ; baisse de la quantité d’eaux fraîches disponibles, baisse des prises de poissons de mer, réduction drastique des forêts et de la biodiversité, et disparition de nombreuses espèces de vertébrés.

3) Conséquences sociales et épidémiologiques

La forte croissance démographique a toujours pour conséquence la surpopulation en terme de densité relative, par rapport à la surface habitable ou à la surface arable. En plus des conséquences sur l’environnement physique et sur les populations animales et végétales, les conséquences sont aussi sociales. Les sociétés en surpopulation deviennent agressives, et provoquent des conflits (pour l’eau, la terre, les ressources naturelles), voire des guerres et même des génocides (comme celui des amérindiens). Ces situations induisent aussi des migrations de détresse, aux nombreuses conséquences négatives.

Les fortes densités de population, les migrations et déplacements rapides (avion), et les contacts plus fréquents avec les populations animales favorisent aussi la diffusion de maladies infectieuses transmissibles (autrefois la peste, le choléra, la variole, la rougeole, la coqueluche, etc. maintenant la grippe, diverses formes d’entéro-pathogènes) et l’apparition de maladies émergentes (VIH/sida, Ebola, grippe aviaire, etc.). De plus, les transports rapides peuvent favoriser l’apparition d’espèces invasives qui peuvent détruire des équilibres écologiques antérieurs.

4) Interactions économiques

Rappelons au préalable qu’aucune société, aucun pays, n’a connu de développement économique important au cours des deux siècles précédents sans contrôler sa fécondité et la croissance de sa population. Et les seuls pays qui ne l’ont pas fait sont restés particulièrement en retard dans le processus du développement, essentiellement des pays africains.

Cependant, les relations entre économie et démographie sont plus complexes que celles qui lient population et environnement.

- Croissance économique vs croissance démographique : la première relation est simple : si le taux de croissance économique est « a » et le taux de croissance démographique est « b », le taux de croissance du revenu par tête est « r = a - b », et donc plus « b » est faible, plus « r » sera élevé.

- Pression de la population et salaires : lorsque la croissance démographique est forte, la main d’œuvre est abondante, et donc le taux de salaire est faible ; si au contraire la croissance démographique est faible (voire négative) on a l’effet inverse, c’est-à-dire une baisse de la demande d’emplois et une augmentation des salaires. On a observé ce phénomène au XIV° siècle en Europe suite à la baisse de population causée par la peste noire, et dans une certaine mesure on l’observe actuellement dans certains pays à croissance démographique négative (Japon).

- Pression de la population et coût de la vie : lorsque la population est importante, certains coûts incompressibles augmentent, en particulier le prix de la terre agricole, le prix des terrains à bâtir, le coût du logement, etc., grevant ainsi les budgets des ménages.

- Croissance démographique, emploi et promotion professionnelle : lorsque la population augmente vite, la pyramide des âges a une forte pente, ce qui limite les possibilités de première embauche, et par la suite de promotion professionnelle (trop de jeunes, pas assez d’emplois, pas assez de place au sommet de la hiérarchie).

Mais les économistes opposent souvent des contre-arguments, basés sur des observations ponctuelles ou plus générales :

- Les dynamiques démographiques peuvent avoir des effets positifs sur les dynamiques économiques, notamment en stimulant l’innovation, en incitant à adopter des techniques plus efficaces, en obligeant à améliorer la gestion, etc. Mais il faut tout de même remarquer que les nations qui ont le plus innové ces 50 dernières années sont celles qui ont le mieux contrôlé leur fécondité (Japon), alors que celles qui ne l’ont pas fait ont très peu innové (pays africains).

- Du point de vue des classes possédantes, des banquiers et des investisseurs, la croissance démographique permet d’abaisser le coût de la main d’œuvre, et donc d’augmenter le taux de profit et de stimuler les investissements. Dans ce cas, l’abondance de main d’œuvre peut même être vue comme une opportunité pour faire des profits (comme dans les pays asiatiques dans les années 1960 ou dans certains pays africains actuellement).

- Une forte croissance démographique, en changeant la structure par âge, peut avoir des effets favorables sur certains paramètres, comme par exemple sur les systèmes de retraite (plus de cotisants, moins de bénéficiaires). Ce défaut peut cependant être facilement corrigé en changeant l’âge à la retraite.

5) Dépenses publiques

Pour ce qui concerne le budget de l’Etat et les dépenses publiques, là encore les relations avec la croissance démographique sont complexes. De plus, il ne faut pas oublier que ces dépenses sont assurées par les impôts et taxes, et donc par la population elle-même. Plus la structure par âge est favorable à l’activité économique (plus d’adultes actifs, moins d’enfants et de personnes âgées) moins les charges pesant sur les travailleurs sont importantes, ce qu’on appelle souvent le ‘dividende démographique’.

En fait :

- Une forte croissance démographique oblige à une augmentation des dépenses publiques (investissements et fonctionnement) concernant les enfants : maternités, crèches, écoles, dispensaires, dépenses de santé. Cependant, une partie de ces dépenses est assurée par les familles.

Par contre :

- Une faible croissance démographique exige à terme plus de dépenses pour les personnes âgées (hôpitaux, maisons de retraite, dépenses de santé). Mais, à la différence des enfants, les personnes âgées ont des ressources financières propres (retraite, patrimoine, etc.).

Conclusions

En bref, la très grande majorité des arguments présentés ci-dessus vont dans le sens de la limitation des naissances : elle est au bénéfice de tous, espèce humaine comme espèces animales et végétales. Les rares contre-arguments économiques pèsent un poids bien faible en comparaison. Ainsi donc, toutes les politiques publiques et les efforts privés qui vont dans le sens de la maîtrise de la fécondité auront des conséquences positives sur les équilibres population et environnement, ainsi que sur les dimensions sociales et psychologiques: bonheur, prospérité, paix et sécurité. En corollaire, l’absence ou la faiblesse actuelle des politiques de planification des naissances dans certains pays africains, apparaît comme particulièrement irresponsable, car ignorant les nombreuses conséquences à long terme.

 

Michel GarenneDémographe
Institut de Recherche pour le Développement
Fondation FERDI ; Institut Pasteur ; Université du Witwatersrand 
Mise à jour le 31/03/2018
 

Pour en savoir plus :

Ehrlich P. (1968). The Population Bomb. New York: Ballantine Books.
Ehrlich PR, Ehrlich AH. (2009). The Population Bomb Revisited. The Electronic Journal of Sustainable Development; 1(3).
Malthus TR. (1807). An Essay on the Principle of Population, or a View of Its Past and Present Effects on Human Happiness, with An Enquiry into Our Prospects Respecting the Future Removal or Mitigation of the Evils Which It Occasions. (Fourth edition), London: J. Johnson.
Union of Concerned Scientists. (1993). World Scientists’ Warning to Humanity. Cambridge, MA: Union of Concerned Scientists.
National Academy of Sciences USA. (1993). A Joint Statement by Fifty-eight of the World’s Scientific Academies. Population Summit of the World’s Scientific Academies. New Delhi, India: National Academy Press.
15,364 scientists signatories from 184 countries. (2017). World Scientists’ Warning to Humanity : A Second Notice. Bioscience