Placer la démographie au cœur de la réflexion écologique conduit à aborder de nombreux sujets de société et d’environnement.

Voici quelques éléments du débat autour des questions les plus fréquentes.


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Questions de démographie proprement dite

1. Le problème n’est pas le nombre des hommes mais le mode de vie. Un malien (éthiopien, africain …) consomme 40 (50, 100, 200 …) fois moins qu’un américain (français, européen…)

Sous de nombreuses variantes, cette affirmation constitue la plus fréquente des objections opposées aux partisans d’une certaine modération démographique.

Elle présente deux atouts médiatiques : donner l’image d’une réflexion plus qualitative que quantitative, et en cela plus subtile, mais surtout placer à bon compte celui qui la professe du côté de l’humanisme et de la lutte contre la pauvreté. Hélas, sous ces atours favorables, cette position passe à côté de nombreuses réalités.

Bien entendu, il ne s’agit de nier ni les inégalités ni les dégâts imposés à la nature du fait de consommations manifestement excessives. Mais si l’on considère que l’empreinte écologique de l’ensemble de l’humanité résulte du produit de l’empreinte individuelle moyenne par le nombre des hommes, il apparaît logique de se préoccuper des deux facteurs : nos modes de vie et nos effectifs. Aujourd’hui, la quasi-totalité du discours écologiste n’évoque que le premier de ces éléments, il est donc naturel qu’une association comme la nôtre invite à discuter également du second.

L’appel à une solution des problèmes écologiques via la seule modification des modes de vie est en effet bien insuffisant pour plusieurs raisons.

La première est que les modes de vie les plus gaspilleurs ne concernent aujourd’hui qu’une minorité des habitants de la planète, sans doute de l’ordre de un milliard sur les très bientôt huit milliards que comptera la Terre d’ici 2025. Appeler à la frugalité générale revient de facto à demander aux sept milliards les plus pauvres de le rester. Nous ne serons en effet jamais toujours plus riches et toujours plus nombreux sur un monde de surface finie. Si nous voulons donner plus à chacun, ce qui est bien nécessaire dans la majorité des cas, nous devons nous orienter vers une stabilisation puis une lente diminution du nombre des hommes. Cette contrainte s’impose pour des raisons physiques, aucune solution politique ne pourra la contourner.

Par cette position, nous ne luttons pas contre les pauvres comme aimeraient le laisser penser certaines caricatures, nous luttons contre la pauvreté, c’est un combat bien différent.

Tenons également compte du fait que les ratios d’impacts parfois évoqués (de un à cent ou même plus larges encore) sont souvent très fortement surestimés. Ils le sont évidemment pour l’alimentation pour des raisons physiologiques évidentes mais ils le sont aussi pour les autres consommations. Si l’on compare les niveaux de vie des 20 % les plus riches de la planète à ceux des 20 % les plus pauvres (ce qui est plus significatif que les cas extrêmes), les rapports d’impacts écologiques tournent plutôt autour de un à cinq. Il faudrait également tenir compte des conditions climatiques qui génèrent dans les pays du nord des besoins caloriques et des dépenses de chauffage plus importantes.

Enfin, ces mesures d’impacts laissent généralement de côté la question de l’occupation des espaces naturels au détriment du reste du monde vivant. Même frugaux et écologiquement respectueux, dix milliards d’hommes ne peuvent concrètement vivre au milieu d’une nature sauvage. Leur seule présence suppose la disparition de nombreuses espèces et notamment de toutes celles que l’on regroupe sous le terme de mégafaune (et parmi elles, en premier lieu, celles des grands prédateurs bien évidemment). On ne retrouve d’ailleurs aujourd’hui cette mégafaune que dans les espaces largement vides d’hommes comme la Sibérie, le Canada, une partie de l’Amazonie ainsi que certains grands parcs africains. Remarquons d’ailleurs que le Canada est un pays pourtant particulièrement riche et consommateur mais qui sauvegarde ses forêts et sa faune du seul fait de sa faible densité de peuplement (de l’ordre du trentième de celle de la France).

Récemment, le rapport Planète Vivante 2016 publié par le WWF soulignait qu’en 40 ans le nombre d’animaux vertébrés avait été divisé par deux. Remarquons que dans le même temps, c’est par deux aussi qu’a été multiplié le nombre des hommes : un même ratio, mais dans un cas une division, dans l’autre une multiplication ! Les faits sont liés.

2. Le taux de croissance de la population ne cesse de diminuer, les démographes l’assurent et nos effectifs vont très bientôt se stabiliser, ce n’est donc plus une priorité.

Depuis les débuts de l’humanité, la démographie se caractérisait généralement par un taux de mortalité et un taux de natalité élevés s’équilibrant peu ou prou. Avec la Révolution Industrielle, un nouveau régime se met en place, un régime dans lequel les pays qui se développent voient leur natalité et leur mortalité faiblir. C’est le fameux mécanisme connu sous le nom de « transition démographique ». Cependant, la mortalité baissant avant la fécondité, si cette phase transitoire dure trop longtemps - et c’est ce qui se passe globalement dans le monde aujourd’hui - alors les sociétés connaissent naturellement une véritable explosion de leurs effectifs durant cette période.

Bien sûr, au fur et à mesure de la progression de cette phase, le taux de croissance démographique annuel doit quand même baisser et c’est bien ce qui s’est effectivement produit depuis une cinquantaine d’années. Nous sommes passés d’une croissance maximum de la population d’environ + 2,1 % par an dans les années 1965 - 1970 à + 1,1 ou + 1,2 % aujourd’hui. C’est sur cette baisse que s’appuient tous ceux qui nient les raisons de s’inquiéter de notre évolution démographique. Hélas, plusieurs éléments doivent tempérer cet optimisme.

- Cette baisse du taux de croissance se mesure par rapport à une référence tout-à-fait exceptionnelle (+ 2,1 %) qui constitua une pointe dans l’histoire de l’humanité. Il y a 100 ans seulement, le taux de croissance n’était que d’environ 0,5 %. Aujourd’hui, en 2016, il reste donc encore deux fois plus élevé. Dans l’ensemble de notre Histoire, la démographie est très majoritairement restée stable.  Entre l’an 0 et l’an 1800, c’est-à-dire à l’atteinte du premier milliard, le taux de croissance était inférieur à 1 pour mille (0,8 pour mille environ) et bien entendu dans les siècles et millénaires précédents il était encore notoirement plus faible. Ne prenons donc pas comme référence une situation brève et absolument non représentative, ce serait une erreur à la fois historique et méthodologique.

- 1 % de croissance annuelle constitue encore un taux très important. Cela génère un doublement de la population en 70 ans environ (en 64 ans précisément pour + 1,1 % par an). Si, depuis Jésus-Christ, ce qui est pourtant récent au regard de l’Histoire humaine, la population avait crû continuellement de 1 % chaque année (c’est-à-dire même un peu moins vite qu’elle ne croît aujourd’hui) elle se serait trouvée multipliée par plus de 500 millions, nous conduisant donc à des effectifs d’environ cent millions de milliards : Oui ! Nous serions serrés, 200 personnes par mètre carré, océans compris !

- Il ne suffit pas de mesurer le taux de progression, il faut aussi mesurer la croissance absolue. Les + 1,1 % d’aujourd’hui s’appliquent à une population qui est plus de deux fois plus nombreuse que dans les années 60. Ainsi, entre 1960 et 1970, si la population a connu son taux de croissance maximum, elle ne gagnait « que » 70 millions d’individus par an (passant de 3 à 3,7 milliards en 10 ans de 1960 à 1970). Aujourd’hui, les 1,1 % de croissance s’appliquent à une population de 7,5 milliards et conduisent à une augmentation d’un peu plus de 80 millions par an ! Et bien entendu, cette croissance supérieure en nombre se produit sur une terre deux fois plus artificialisée du fait de la présence humaine plus importante. Les conséquences sur la biosphère en sont d’autant plus graves.

Enfin, s’il est vrai que la stabilisation finira par se produire (c’est une obligation physique dans un monde clos), cette stabilisation est aujourd’hui repoussée, on l’envisage désormais pour après l’an 2100 alors qu’il y a peu encore, dans les années 2000, on l’imaginait effective autour des années 2050. On pense également qu’elle se situera à un niveau plus élevé. Nous sommes passés dans les mêmes délais d’une stabilisation attendue autour de 9,5 à 10 milliards à une stabilisation autour de 11 milliards ou même un peu plus.

Depuis une dizaine d’années, les projections de l’ONU sont régulièrement revues à la hausse. Voici l’évolution récente de ces projections pour 2050.

En 2009 : 9,1 milliards

En 2011 : 9,3 milliards

En 2013 : 9,6 milliards

En 2015 : 9,7 milliards

 

Pour la fin du siècle, la tendance est la même. Aujourd’hui, l’ONU prévoit 11,2 milliards d’habitants (en 2010, ces projections s’établissaient à 10,1 milliards). En outre, comme nous l’avons dit, la stabilisation n’est plus considérée comme certaine à cette date.

3. La Terre est presque vide, de nombreux endroits sont déserts

Aujourd’hui, la plupart des endroits encore déserts sont en réalité inhabitables par les hommes (Antarctique et Groenland, Sahara, zones de haute montagne...). Les seules régions très partiellement habitables sur la Terre et non encore densément peuplées sont, l’Amazonie (mais faut-il la sacrifier compte tenu de sa richesse animale et végétale extraordinaire ?) la Sibérie (mais pas partout, il fait très froid, le sol est difficilement cultivable), le Canada (idem) et encore quelques forêts primaires africaines (qu’il faudrait toutefois raser).

Ces régions sont d’ailleurs les seules où subsistent en quantité une grande faune hors des parcs nationaux. La Mongolie est parfois citée, mais le climat y est rude comme il l’est dans la pointe sud de l’Amérique par ailleurs très étroite. Le centre de l’Australie est également peu peuplé, mais il est assez peu fertile et ne saurait faire vivre une grande population.

De vastes zones sont au contraire désormais fort densément peuplées : l’Asie du Sud-Est notamment : Ainsi, outre la Chine, l’Inde sera bientôt le pays le plus peuplé du monde, le Bangladesh présente une densité de l’ordre de 1 100 habitants au kilomètre carré soit presque 10 fois celle de la France, (il faut imaginer une France de 600 millions d’habitants !) La péninsule indochinoise est aussi très peuplée.

C’est également le cas d’une grande partie de l’Europe (400 habitants par kilomètre carré aux Pays-Bas, plus de 260 au Royaume-Uni), des côtes Est et Ouest des Etats-Unis et même aujourd’hui de nombreux pays d’Afrique (Voir le point 5 spécifiquement consacré à l’Afrique).

 

Cette idée qu’il existerait encore de vastes zones libres est tout simplement un mensonge. Les tensions générales dans le monde et les problèmes migratoires en sont pour une part l’illustration. Peupler à toute force les rares régions encore vierges ne changerait rien au problème global, très vite ces zones se trouveraient à leur tour surpeuplées. S’engager en ce sens conduirait seulement à détruire le peu qui reste de nature.

4. La Terre n’est pas surpeuplée puisque l’on pourrait loger de manière décente toute la population sur la seule surface de la France ou du Texas (il circule de nombreuses versions de la même idée).

De telles hypothèses sont tellement excessives que les réfuter relève de l’inutile. L’immensité des problèmes d’approvisionnement, de logistique en général, de mode de vie, de cohabitation, de sécurité est telle qu’elles sont inenvisageables. Il s’agit de faire vivre les hommes et non simplement de les positionner côte à côte. Mettre toute l’humanité sur une surface telle que la France ou le Texas reviendrait à peupler cette zone avec une densité de l’ordre de 10 à 11 000 habitants par kilomètre carré, soit la moitié de celle de Paris (21 100 hab./km carré).

Cependant, ces hypothèses présentent l’intérêt de mettre en évidence des questions de fond. Pourrait-on s’orienter vers une planète où nous laisserions d’un côté des zones de nature vierge et de l’autre d’immenses concentrations urbaines, seule solution selon certains pour préserver à la fois la vie sauvage et une humanité nombreuse ?

C’est indirectement ce vers quoi semblent pencher ceux qui font la promotion de la densification des villes et de l’habitat collectif plutôt que de la maison individuelle : Concentrer les hommes et séparer hommes et nature.

C’est aussi dans une certaine mesure ce qu’avait caricaturé à l’extrême un romancier comme Robert Silverberg dans son ouvrage les « Monades urbaines » (encore que dans ce roman, la partie non urbanisée du monde était plutôt consacrée à l’agriculture intensive qu’à la nature).

C’est un choix pour l’humanité. Même si en pratique, il semble que le peuplement résulte plutôt des aléas et des nécessités de l’Histoire plus que de choix conscients et collectifs imposés par des institutions supranationales ou une humanité collectivement considérée.

Cette évolution poserait d’ailleurs un problème fondamental : Cela reviendrait à déconnecter l’homme de la nature plus encore qu’il ne l’est aujourd’hui. Or déjà la moitié de l’humanité est « urbaine » et semble amenée à l’être de plus en plus. Elle nous engagerait vers une société très dépendante de réseaux d’approvisionnement complexes et bien peu résiliente en cas de guerre ou de catastrophe naturelle. Elle proposerait également un choix de vie très particulier vers lequel tous ne souhaitent sans doute pas se diriger. On entrevoit ce style de société dans certaines mégalopoles d’aujourd’hui rongées par la violence et la déshumanisation.

Nombreuses sont les personnalités qui se sont inquiétées de l’artificialisation vers laquelle conduirait un peuplement toujours plus important de la planète.

A toutes les injonctions en ce sens, on peut rappeler par exemple cette réflexion de Robert Hainard "Le degré de civilisation se mesurera à la quantité de nature sauvage que l’homme aura réussi à préserver."

Ou bien ces propos propos de l’actrice Jane Fonda qui déclarait en janvier 2013 : « Ensuite il y a un problème de conscience : à quoi ressemblera le monde sans animaux sauvages, sans vie marine ? Tout ça parce qu’une seule espèce animale, la plus dangereuse, l’homo sapiens, aura occupé tout l’espace et accaparé toutes les ressources ? Ne risquons-nous pas enfin des tensions, des guerres, si notre monde est encore plus surpeuplé, entassé ? Où va-t-on trouver la paix et le calme ? Le dépaysement ? Le recul ? Ou trouvera-t-on des terrains libres et non urbanisés pour avoir un contact avec la Nature ? Étant enfant, je me suis construite en explorant les plaines, les bois, et en jouant dans des endroits libres et envahis par la végétation. D’où va venir l’éveil de la jeunesse en 2045 ? »

5. L’Afrique est un continent sous peuplé

Certes la densité de l’Afrique (40 h / km carré) est encore aujourd’hui inférieure à la moyenne mondiale (54 h / km carré), mais elle est déjà élevée au regard de l’Histoire et l’Afrique est loin d’être un continent vide.

Quatre éléments doivent notamment être pris en considération.

- Un tiers de l’Afrique est en pratique inhabitable car constitué de déserts (Le Sahara et dans une moindre mesure la Namibie et quelques autres régions). Il faut en réalité tenir compte d’une densité rapportée à la surface habitable. L’exemple type en la matière est l’Egypte qui a une densité d’environ 90 habitants au kilomètre carré rapporté à sa surface totale, mais de 2 000 h/km2 rapportée à sa surface concrètement utilisable (le delta et les rives du Nil). L’Egypte, si fertile dans l’antiquité, est d’ailleurs aujourd’hui très dépendante en matière alimentaire.

- Beaucoup de pays sont déjà très fortement peuplés : Le Burundi et le Rwanda (450 habitants au km carré, où la surpopulation constitua sans doute la cause majeure des massacres de 1995, comme l’analysa notamment Jared Diamond dans « Effondrement »), mais aussi de la partie habitable de l’Egypte (voir ci-dessus), L’Ethiopie a désormais 100 millions d’habitants, le Nigéria, bientôt 200 millions et les projections de l’ONU conduisent à l’imaginer avec 750 millions d’habitants en 2100 (2,5 fois plus que les Etats-Unis d’aujourd’hui pour un dixième de leur surface soit une densité 25 fois plus élevée !). Le Niger avec 7,6 enfants par femme détient le record mondial de fécondité. Ce sont de facto des situations intenables et lourdes de menaces.

- L’Afrique est déjà sur une trajectoire d’explosion démographique. Entre 1950 et 2100, elle devrait avoir vu sa population multipliée par 20 (passant de 200 millions à 4 milliards d’habitants) et devrait ainsi gagner 3 milliards d’habitants d’ici la fin du siècle. Inutile donc de trop compter sur des espaces disponibles sur ce continent dont les terres sont déjà convoitées par de nombreux pays - dont la Chine - pour nourrir leurs propres populations au détriment à terme des africains eux-mêmes. Notons d’ailleurs qu’avec 4 milliards d’habitants en 2100, l’Afrique aura alors une densité (hors déserts) d’environ 200 habitants au kilomètre carré, densité qui sera supérieure à celle de l’Asie (170 habitants au kilomètre carré). Là aussi, il est et il sera difficile d’évoquer un sous-peuplement du continent.

 

- Urbaniser certaines zones aujourd’hui peu peuplées reviendrait à détruire ce qui reste de nature, en particulier les rares forêts primaires de l’Afrique équatoriale et la grande faune dont l’Afrique est aujourd’hui pour une large part la seule dépositaire.

Questions en rapport avec l’écologie et la santé

6. Les contraceptifs présentent de nombreux inconvénients environnementaux et sanitaires.

Oui, il faut admettre qu’il existe des problèmes.

Les contraceptifs chimiques (pilules contraceptives, injections, patchs et stérilets imbibés de contraceptifs) sont régulièrement mis sur la sellette. Ils posent des problèmes de santé et leur évacuation présentent de réels inconvénients environnementaux. Les centrales d’épuration, quand il y en a, ont du mal à les faire disparaître et il semble que la faune de nos rivières et de nos lacs par exemple en soit déjà victime, notamment les amphibiens (anomalie de développement, changement de sexe…). Tout cela est d’ailleurs assez logique, puisque ces produits ont justement pour objet d’entraver le fonctionnement normal des êtres vivants en particulier leurs mécanismes de reproduction et de développement.

L’enveloppe plastifiée et aluminée des préservatifs persiste fort longtemps dans la nature et le préservatif n’est pas toujours jugé très agréable.

La stérilisation chirurgicale pose aussi des problèmes d’acceptation bien compréhensibles à cause de son caractère définitif.

Il serait inutile et malhonnête de nier ces difficultés, il faut évidemment travailler techniquement à réduire tous ces inconvénients et favoriser la recherche scientifique sur les méthodes contraceptives les plus naturelles possibles.

Toutefois, n’utiliser aucun de ces moyens contraceptifs serait pire encore. Car demain une population plus nombreuse serait confrontée aux mêmes problèmes et si elle devait se mettre à la contraception (et elle le devrait forcément), elle le ferait alors sur une échelle encore plus grande, avec des inconvénients pour l’environnement qui eux-mêmes s’en trouveraient multipliés dans des proportions identiques.

 

Ajoutons que la généralisation de la contraception permet de limiter le recours à l’avortement qui fait l’objet de débats dans de nombreuses sociétés.

7. La nature a toujours rétabli l’équilibre

Dans le long terme oui, mais à quel prix ? Sinon à celui de nombreuses souffrances ? Si nous devons connaître pour ce rétablissement de l’équilibre un effondrement de nos civilisations, si nous devons voir disparaître des milliers d’espèces que la nature mettra plusieurs millions d’années à reconstituer, n’est-ce pas trop cher payer ? Pour la nature comme pour nous ? Ne vaudrait-il pas mieux agir afin d’économiser cette phase douloureuse de l’effondrement comme processus préalable à une reconstruction ? C’est le sens de notre militantisme, pour cela il s’agit donc d’un combat humaniste tout autant qu’écologiste.

8. Y a-t-il une relation entre la croissance démographique et le réchauffement climatique ?

De toute évidence, plus il y a d’humains sur Terre, plus il y a de consommation/combustion d’énergies fossiles et donc plus il y a d’émissions de CO2, quelles que soient par ailleurs les émissions de chacun. Les courbes de croissance de la population et d’augmentation des émissions sont d’ailleurs superposables. Et comme ce CO2 participe de façon significative au réchauffement, on a là une première réponse.

Mais pour aller plus dans le détail, il faut savoir que depuis le début du XXème siècle, les émissions de CO2 ont été multipliées par seize et que dans le même temps, la population a été multipliée par quatre. On en déduit aisément que les émissions individuelles ont aussi été multipliées par quatre. De ces constatations, on peut dire en première analyse que l’augmentation des émissions individuelles et celle de la population ont une responsabilité égale dans le réchauffement.

Ce résultat doit néanmoins être tempéré, car il s’agit là d’une moyenne : il y a des pays où l’augmentation des émissions individuelles a été plus forte que dans d’autres. Ce rapide historique devrait donc au moins nous inciter à ne pas commettre la même erreur en continuant de laisser nos effectifs croître sans limite.

Mais voyons maintenant ce qu’il risque d’advenir. Pour cela on ne prendra qu’un seul exemple, celui de la croissance démographique prévue en Afrique subsaharienne. Cette partie du continent (moins l’Afrique australe) pourrait voir sa population croître de près de 3 milliards d’individus d’ici à la fin du siècle, cette augmentation à elle seule, soit dit en passant, représentant la population totale de la planète en 1960… Eh bien, si les émissions de CO2 individuelles atteignent le niveau de ce que l’on nomme les « gaz à effet de serre vitaux », c’est-à-dire 1,3 tonne par an, le total des émissions de cette zone sera alors supérieur aux émissions actuelles des USA. Dit sous une autre forme, si les américains revenaient à l’âge de pierre, ça ne servirait à rien puisque cela serait compensé par la seule augmentation de la population africaine et ce à émissions minimales.

9. Existe-t-il une relation entre la croissance démographique et l’effondrement de la biodiversité ?

Comment pourrait-il en être autrement ?

L’occupation des espaces autrefois naturels par l’Homme conduit inévitablement à l’expulsion d’une grande faune sauvage de ces mêmes espaces. Quel que soit son niveau et son mode de consommation, l’Homme ne peut complètement vivre au milieu des espèces sauvages, en particulier de la grande faune et des prédateurs (on connaît en France les problèmes insolubles que pose la cohabitation avec le loup, un prédateur pourtant relativement modeste et bien peu dangereux pour l’Homme). Inévitablement, nous devons partager les territoires et pour cela, la consommation n’est pas le premier facteur en cause. D’ailleurs, un pays pourtant très riche comme le Canada (voir point 1) possède encore une grande faune du seul fait de sa faible densité démographique. De même, les forêts ne pourront être protégées sérieusement dans un monde surpeuplé.

 

La disparition aujourd’hui de la mégafaune africaine est grandement la conséquence de l’explosion démographique du continent. De la même manière d’ailleurs que c’est pour une large part à sa faible densité que l’Afrique doit d’avoir longtemps pu garder sur ses territoires des espèces autrefois répandues dans le monde entier, éléphants et lions par exemple, dans leurs différentes variantes continentales.

Questions d’ordre économique

10. Qui payera nos retraites si nous faisons moins d’enfants ?

Les retraites sont essentiellement financées par prélèvement sur les revenus des personnes travaillant effectivement. Or depuis 40 ans, une proportion croissante de la population active (c’est-à-dire les personnes travaillant ou cherchant un emploi) est au chômage, il ne manque donc pas de gens susceptibles de travailler pour cotiser, il manque des emplois, le problème est durable et il ne relève pas d’un manque démographique. Il est étonnant qu’on veuille le solutionner en augmentant la population disponible alors qu’elle est déjà là.

Dans cette situation de chômage chronique, la croissance de la population génère chaque année l’arrivée de personnes de plus en plus nombreuses sur le marché du travail. Et, dans ce contexte, si cela conduit à quelques cotisants en plus, cela conduit aussi et d’abord à l’accroissement du nombre de chômeurs, ce qui, au contraire, génère, d’une façon ou d’une autre, des charges supplémentaires. En Europe d’ailleurs, une des raisons du plus faible taux de chômage en Allemagne qu’en France est que les classes d’âges qui arrivent sur le marché du travail ne sont pas de plus en plus nombreuses, mais au contraire de moins en moins nombreuses, cela adoucit fortement les tensions sur le marché de l’emploi (et sur d’autres marchés également comme celui de l’immobilier par exemple facilitant ainsi le logement à moindre coût).

D’autre part, et plus généralement encore, au-delà d’une analyse conjoncturelle, locale ou même nationale, si nous comptons asseoir l’équilibre financier des retraites par un système dans lequel chaque classe d’âge se doit d’être plus nombreuse que la précédente, alors nous entrons dans une spirale sans fin. Demain, il nous faudra encore et toujours faire plus d’enfants.

Il est essentiel de stopper cet engrenage qui s’apparente à une pyramide de Ponzi même si cela peut conduire à connaître des difficultés temporaires sur les systèmes de financement pour lesquels d’autres sources doivent être envisagées. Il est nécessaire également d’engager de nouvelles réflexions sur la place des personnes retraitées dans la société.

 

Faire le contraire ne ferait que repousser le problème à plus tard et finalement le voir se reposer sur une échelle plus grande encore. Les fuites en avant se terminent toujours mal.

11. Nos pays vieillissent, qui s’occupera des personnes âgées ? A cause de ce vieillissement, nos pays seront moins dynamiques.

Rien n’indique qu’un pays ayant une moyenne d’âge plus élevée soit moins dynamique. En effet, ce sont souvent les pays développés qui réussissent le mieux alors que leur population est généralement plus âgée. D’autant qu’il s’agirait là d’un avantage bien provisoire puisque les jeunes d’aujourd’hui sont nécessairement les vieux de demain (qui donc, à leur tour, nécessiteront des soins en plus grand nombre). Il est illusoire de vouloir lutter contre le passage du temps par une fuite en avant nataliste qui ne conduirait à terme qu’à l’aggraver. Dans un contexte de chômage chronique, il ne manque pas de travailleurs pour s’occuper des personnes âgées, il s’agit d’un problème de coût et d’attribution des ressources.

12. La croissance démographique des pays du Sud permettra, via les migrations, aux pays du Nord de compenser la baisse de leur fécondité.

Cette position est souvent soutenue dans le double but de défendre à tout prix la croissance démographique et de donner des phénomènes migratoires une image favorable. C’est là faire preuve de bien peu d’humanisme puisque cela revient à faire des individus les simples outils d’une politique démographique.

Mais cela pose également de nombreux autres problèmes

Tout d’abord et sur le fond : en quoi devons-nous compenser l’éventuelle baisse démographique des pays du Nord ? Ceux-ci (à l’exception de la Russie et du Canada) sont généralement déjà très densément peuplés, plus qu’ils ne l’ont jamais été dans l’Histoire. Cette densité a conduit à la disparition de quantités d’écosystèmes, de forêts et de presque toute la mégafaune ainsi qu’à une consommation accrue de biens et d’énergie. Là aussi, on retrouve l’idée sous-jacente qu’il serait par définition meilleur d’être toujours plus. Il s’agit encore une fois de la confusion de l’optimum et du maximum. De nombreux problèmes écologiques et sociaux (on pense à la difficulté de vivre dans les conurbations géantes aussi bien qu’à la pollution) seraient au contraire beaucoup plus faciles, ou en tout cas moins difficiles, à régler dans des pays moins peuplés.

Cette « solution migratoire » pose également de multiples problèmes humains, sociaux politiques et économiques, parmi lesquels l’arrachement des peuples à leur racines, l’acceptation des nouveaux arrivants dans les pays d’immigration et de manière plus générale la mise en place forcée d’une « société multiculturelle mondiale ». Au vu des problèmes que connaissent actuellement les sociétés sur ces différents points, est-il vraiment raisonnable d’accélérer une évolution en ce sens ?

A ceux qui malgré tout, passant outre ces problèmes humains y verraient une solution économique, rappelons que le compte n’y est évidemment pas. La baisse démographique des pays du Nord d’ici la fin du siècle peut être estimée à une centaine de millions de personnes (les Etats-Unis par exemple ne sont pas en baisse) et la seule croissance démographique attendue en Afrique portera sur plus de 3 milliards de personnes dont beaucoup ne trouveront pas leur place économique sur ce continent. Donc l’excédent démographique attendu se situe très au-delà de ce dont nous aurions « besoin » (mot quelques peu indécent en matière humaine) et laissera donc, pour l’essentiel, les problèmes en place dans les pays de départ.

Enfin c’est évidemment un phénomène contre-productif puisqu’en réduisant (donc même très minoritairement) la pression démographique au Sud, il conduira à retarder d’autant la mise en place de politiques susceptibles de réduire la fécondité. Nous nous retrouverons ainsi plus tard avec à la fois plus de monde au Nord … et au Sud.

 

Bref, au Nord, au Sud, politiquement, humainement, socialement et écologiquement, ce genre de solution ne fera que des perdants.

13. Il faut s’occuper d’abord du développement

Il est vrai qu’il existe une corrélation entre le niveau de développement et un bas niveau de fécondité. Cette corrélation s’étend d’ailleurs à beaucoup d’autres phénomènes eux-mêmes interdépendants, comme le niveau d’éducation, le niveau de consommation, le rôle des femmes dans la société et d’autres encore, au point qu’il est difficile de savoir lequel est déterminant dans la baisse de la fécondité.

Si le développement est un impératif moral pour ne pas laisser les gens dans la pauvreté, il faut noter que si tous les pays du monde disposaient d’un niveau de développement comparable à celui des pays où le taux de fécondité n’assure plus le renouvellement de la population (en Europe ou au Japon par exemple), alors la planète ne supporterait pas les pollutions, atteintes à l’environnement et prélèvements associées à ce développement. On ne peut militer pour le seul développement sans prendre en compte cette conséquence.

La Chine (et quelques autres pays) fait exception n’ayant pas encore le niveau de consommation occidental mais ayant déjà atteint un seuil de fécondité n’assurant pas le renouvellement de sa population, son rôle d’usine du monde la conduit toutefois à être un pays ayant un fort impact sur l’environnement (fut-ce pour la consommation d’autrui). Son immensité démographique la conduit toutefois déjà à rechercher des terres dans le monde entier pour nourrir sa population. Là aussi on voit que le développement, s’il veut s’accompagner d’un certain respect de l’environnement doit aussi s’accompagner d’une certaine modération démographique.

Un développement économique mondial plus équilibré aurait peut-être pu conduire à une plus large et plus rapide diminution de la fécondité planétaire. Il est hélas trop tard pour cette trajectoire idéale. D’une part le développement n’arrivera pas à stopper notre explosion démographique à temps, d’autre part il supposerait une telle débauche d’énergie et de consommation que les équilibres biologiques de la planète ne le supporteraient pas.

 

Ajoutons qu'en Afrique notamment la forte croissance démographique obère au contraire les possibilités de développement. Beaucoup de pays ne peuvent faire face aux besoins en termes de scolarisation, de formation et de santé et ont même des difficultés à assurer la construction et l’entretien des infrastructures nécessaires au développement économique.

14. Vous devriez vous attaquer d’abord à l’inégalité de la répartition des richesses.

Démographie Responsable est tout-à-fait favorable à une plus grande égalité entre les Hommes, à une plus équitable répartition des richesses. Toutefois, il s’agit là d’un objectif plus général et d’ordre plus social qu’écologique.

Si la richesse mondiale était équitablement répartie, rien n’indique que nous polluerions moins. Tout le monde aurait sans doute une petite voiture et le réseau routier, comme la pollution, seraient loin d’en être diminués. Globalement la consommation ne baisserait pas, au contraire sans doute. Ce qui est vrai pour l’automobile l’est aussi dans beaucoup d’autres domaines comme l’équipement ménager ou l’utilisation d’énergie par exemple.

D’ores et déjà, dans de nombreux pays, l’empreinte écologique est surtout liée à la consommation des classes moyennes. Les gens qui en font partie ne se considèrent en rien comme des milliardaires et de fait ne le sont pas, mais ce sont aujourd’hui eux qui ont une empreinte déterminante.

 

Une répartition plus équitable des revenus et des patrimoines relève donc de la morale ainsi que de la volonté de préserver la stabilité de nos sociétés. C’est une direction dans laquelle nous devons aller, mais elle ne relève sans doute pas stricto sensu de la protection de l’environnement.

Questions de société

15. Il vaut mieux s’occuper d’abord de la condition des femmes, de l’éducation, c’est cela qui permet de faire baisser la fécondité.

Démographie Responsable a toujours fait la promotion de l’amélioration de la condition féminine et de l’éducation notamment dans les pays les plus pauvres. Indépendamment de leur effet sur la fécondité, ce sont de toute façon des objectifs d’ordre moraux et sociétaux.

 

Comme pour le développement tous ces objectifs sont largement interdépendants et se renforcent mutuellement en faveur d’une baisse de la fécondité. Il faut donc militer pour tout cela en même temps. Démographie Responsable par son objet même évoque d’abord directement les problèmes de fécondité mais soutient évidemment toutes les initiatives sur des sujets connexes et causalement reliés (voir aussi la question précédente : Il faut s’occuper d’abord du développement).

16. Vous stigmatisez les plus pauvres qui n’ont que leurs enfants comme richesse.

Dans beaucoup de pays pauvres, et encore il y a peu dans nos pays, quand aucun système de retraite n’existait - ce qui fut le cas presque partout dans l’histoire de l’humanité - les enfants constituaient un moyen d’assurer les vieux jours de leurs parents ainsi que la transmission et la préservation du patrimoine familial.

Les choses ont bien changé. Tout d’abord, les enfants ne coûtaient presque rien (l’éducation était peu répandue), au contraire, assez vite ils aidaient aux travaux agricoles et surtout hélas, ils mouraient en grand nombre ce qui conduisait les familles à faire naître de nombreux enfants dans l’espoir d’en garder quelques-uns. L’absence de véritable contraception renforçait évidemment cette tendance (même si l’allaitement par exemple conduisait de facto à un espacement des naissances).

Aujourd’hui heureusement, les enfants survivent très largement et ceci, même dans les pays les moins développés. C’est même là que se situe la cause première de l’explosion démographique car les gens ne font pas plus d’enfants qu’avant, mais ceux-ci survivent, la baisse de la mortalité infantile conduit la grande majorité, (85 %) des enfants à atteindre désormais l’âge de leur propre reproduction.

Ce changement impose bien entendu une évolution des comportements, faute de quoi, le mécanisme que les démographes appellent transition démographique, c’est-à-dire le passage d’un régime de haute fécondité et haute mortalité à un régime de faible fécondité et à de faible mortalité se prolonge trop longtemps (voir aussi § 2 : le taux de croissance ne cesse de diminuer…) Or, c’est pendant cette phase de transition que se produit l’explosion démographique. La mortalité étant la première à baisser, si la fécondité tarde à le faire, la population croît alors fortement. C’est ce qui se passe encore actuellement notamment en Afrique.

 

Nous ne stigmatisons pas les plus pauvres, nous essayons de militer pour l’adaptation des sociétés aux nouvelles conditions. C’est une obligation si nous ne voulons pas que l’explosion démographique ne devienne justement un facteur déterminant de la pauvreté. En agissant ainsi, nous luttons contre la pauvreté et non contre les pauvres.

17. Vous êtes partisan d’une politique autoritaire comme celle de l’enfant unique en Chine.

En Chine, la politique de l’enfant unique a été mise en place après les résultats catastrophiques d’une politique nataliste qui risquait de mener le pays à la catastrophe.

Si nous laissons aller la fécondité, alors demain, de plus en plus de gouvernements dans le monde, dépassés par l’ampleur du problème pourraient effectivement être amenés à imposer des politiques autoritaires avec leur cortège d’horreurs : atteinte aux libertés, avortements forcés, voire infanticides…

 

Si au contraire nous menons aujourd’hui des politiques incitatives et non coercitives pour abaisser la fécondité, nous aurons beaucoup plus de chances de limiter plus tard le recours à des méthodes autoritaires. En effet, d’une façon ou d’une autre, la Terre étant de surface finie, il faudra stopper notre croissance. Autant le faire doucement aujourd’hui et de façon volontaire, que de subir demain la pression des événements, ce qui serait la voie la plus dure et la plus inhumaine.

18. Vous êtes eugénistes.

L’eugénisme consiste à sélectionner les individus sur des caractères particuliers considérés comme préférables par la société ou par un pouvoir quelconque à un moment donné. Il consiste à appliquer sur les Hommes ce que nous appliquons aux animaux domestiques. Démographie Responsable n’évoque que le nombre des hommes et jamais leurs caractéristiques et donc leur sélection. Notre militantisme n’a donc rien à voir avec l’eugénisme. Notons d’ailleurs que dans l’Histoire, les mouvements et régimes ou gouvernements eugénistes ont souvent été natalistes, bien loin de nous donc.

19. Évoquer ce sujet va heurter les gens.

Probablement moins que l’on ne pourrait le craindre malgré le caractère sensible du sujet. Les gens peuvent comprendre la nature du problème, l’importance de la menace et le nécessaire équilibre entre les libertés individuelles et les contraintes collectives. C’est d’ailleurs une question qui se pose en presque tous les domaines de la vie en société.

Il existe un réel décalage entre une large partie de l’opinion tout-à-fait prête à admettre que ces questions doivent être discutées et la position des institutions ou des partis politiques qui sont globalement très largement natalistes.

Beaucoup de gens seraient plus inquiets encore à la perspective de voir demain leurs enfants hériter d’un monde invivable et cette conscience commence à prendre forme. Pour cela, l’idée d’une certaine retenue démographique est prête à être acceptée par l’opinion, plus prête que ne le croient la majorité des leaders politiques.

 

La réduction de la fécondité dans un certain nombre de pays développés (Europe et Japon notamment), alors même que le discours politique et religieux s’y oppose majoritairement en atteste, au moins pour une part, même si des déterminants socio-économiques doivent évidemment aussi être pris en compte.

20. C’est un sujet intime, l’Etat ne devrait pas s’en mêler.

En réalité, les pouvoirs publics s’en mêlent déjà largement. Par les politiques fiscales via le système du quotient familial, par les politiques sociales : allocations familiales et avantages divers (cantines, réductions dans de nombreux services publics…), nos sociétés organisent déjà un transfert financier très important des gens qui ont peu ou pas d’enfants vers ceux qui en ont beaucoup.

L’éducation des enfants est également prise en charge gratuitement quel que soit leur nombre au sein d’une famille. Cela constitue un transfert invisible mais c’est probablement, et de loin, le plus important de tous. Pour des raisons de justice, il est essentiel de pouvoir le maintenir afin que chacun ait accès à la connaissance. Cela suppose une certaine modération et notamment de ne pas additionner sans fin les autres formes de transferts et avantages à destination des familles nombreuses.

Vouloir réduire certains transferts n’est donc pas se mêler plus fortement d’un sujet intime, cela consiste simplement à s’en mêler de façon différente.

Concernant les diverses allocations, rappelons également qu’avant d’être des dons à destination de certains, ce sont des prélèvements obligatoires imposés aux autres et notamment à ceux qui ont peu d’enfants et participent en cela à la préservation de l’environnement futur. Il est aberrant que sur une Terre ou l’humanité a multiplié par deux ses effectifs en seulement 45 ans, certaines sociétés lèvent des impôts pour faire encore plus d’enfants en pénalisant ceux qui en ont peu.

 

Ni la raison ni l’humanisme ne sont donc forcément dans le camp des partisans d’aides familiales sans limites, surtout quand celles-ci ont un effet incitatif sur la fécondité.

21. Mieux vaut cinq enfants bien éduqués qu’un seul mal éduqué.

Cet exemple est assez curieux. On remarquera qu’on le présente toujours dans le même sens. Or, on peut à l’inverse envisager d’opposer l’exemple d’une famille ayant un seul enfant qui serait parfaitement éduqué à celui d’une famille de cinq enfants dont chacun serait absolument indifférent à la protection de l’environnement. On imagine alors l’écart abyssal entre les deux impacts. Il n’y a après tout aucune raison de supposer que les parents de familles peu nombreuses éduquent plus mal leurs enfants.

 

En supposant que les éducations soient comparables quelle que soit la taille de la fratrie, il est alors évident que cinq personnes pollueront plus qu’une seule : cinq fois plus en moyenne même si l’on peut admettre que dans la petite enfance, la surface occupée par le logement d’une grande famille ne sera pas entièrement proportionnelle à la taille de cette famille. Il faut également songer que si les enfants une fois adultes répètent le même comportement que leurs parents (ce qui pour une certaine part se vérifie), alors le ratio évoqué ici de un à cinq se trouvera encore plus contrasté à la génération suivante.

22. Vous devriez d’abord vous attaquer aux religions

La question des religions est délicate car elle touche à quelque chose d’intime sur laquelle les réactions peuvent être épidermiques aussi bien chez les croyants que chez les athées.

Tout d’abord sur la question du fond, c’est-à-dire la foi, Démographie Responsable n’a rien à dire, cela ne relève évidemment pas de son domaine de compétence.

Concernant le temporel, si les trois grandes religions monothéistes ont aujourd’hui un discours nataliste, le comportement effectif de ceux qui s’en réclament est assez différent, et pour compliquer l’analyse, ce comportement lui-même ne peut être étudié indépendamment du type de société et du niveau de consommation des fidèles qui se réclament majoritairement de tel ou tel courant religieux.

Chez les chrétiens, le discours de l’Eglise est assez peu suivi dans les pays développés. Ainsi en Europe par exemple, la fécondité est la plus faible dans les pays les plus catholiques (Italie, Espagne, Pologne, Pays Baltes) l’Irlande faisant légèrement exception ainsi que la France (mais, l’immigration et le comportement reproductif des populations récemment arrivées vient fausser les données brutes).

La Russie orthodoxe connaît également une faible fécondité. A l’inverse, les pays chrétiens d’Afrique continuent à faire beaucoup d’enfants. Les Philippines (un peu plus de 100 millions d'habitants) sont dans une situation intermédiaire, fécondité assez forte mais moins qu’en Afrique et développement déjà assez largement engagé.

Il semble que globalement, le niveau de développement et d’éducation (eux-mêmes corrélés) constituent un déterminant plus significatif que l’appartenance à cette communauté religieuse.

En ce qui concerne le judaïsme, la problématique est différente. En Israël, la fécondité (indice synthétique de fécondité 3,3 en 2015) est élevée pour un pays développé, cependant la diaspora juive ne semble pas, dans les autres pays, faire beaucoup plus d’enfants que le reste de la population. Mais surtout à l’échelle du monde, la population juive représente très peu (moins de 20 millions de personnes, soit 0,2 % de la population mondiale) et n’a donc aucune influence sensible sur la démographie planétaire.

La religion musulmane par contre cumule le discours nataliste, la pratique nataliste et des effectifs déjà très importants. Il y a donc là un véritable enjeu. On peut regretter que contrairement à ce que réclament certains intellectuels et théologiens musulmans, cette religion, à l’inverse des chrétiens et des Juifs, n’ait pas encore refondé sa théologie pour l’adapter au monde moderne et à ses contraintes. Il faut noter toutefois que, là aussi, comme pour les croyants des autres religions, les conditions socio-économiques dans lesquels vivent les musulmans sont sans doute déterminantes.

Les religions bouddhistes et hindouistes sont sans doute moins natalistes dans leur discours, mais elles sont surtout présentes (en général, il y a des exceptions) dans des pays moins développés que les pays d’obédience chrétienne et s’appuient sur une culture générale valorisant les enfants. Là aussi, il est difficile de déconnecter l’influence religieuse du reste des déterminants.

 

Notre propos n’a pas vocation à attaquer les religions, nous respectons d’ailleurs la foi de tous. Par contre il s’adresse à la raison, à la nécessité de vivre ensemble sur la planète. Cela chacun doit le comprendre, indépendamment de son orientation religieuse, c’est sur cette sagesse-là que nous devons compter.

Questions sur l’alimentation et la démographie

23. Tout ce que nous gaspillons pourrait nourrir les nouveaux venus

La lutte contre le gaspillage est évidemment bienvenue, mais la réduction des gaspillages ne constitue pas une source infinie (les quantités gaspillées sont par définition sensiblement inférieures à la production). Une telle diminution ne permettra donc pas de dégager des quantités permettant de nourrir éternellement les nouveaux venus.

La question du gaspillage alimentaire est souvent mal posée. On insiste sur le problème moral en oubliant sa raison d’être économique qui est déterminante.

La cause principale du gaspillage est le très faible prix de la nourriture industrielle. C’est pour cela qu’une partie de la nourriture est souvent jetée, parce que le coût de sa bonne conservation et d’une réduction du gaspillage serait très supérieur au coût de ce qui est ainsi perdu.

Ce raisonnement s’applique aussi bien aux particuliers qu’aux distributeurs. Économiquement et parfois même écologiquement, on peut penser qu’il vaut mieux jeter deux ou trois yaourts (ou autre produits périssables) de temps en temps parce que par précaution nous en avions trop achetés que de prendre plus souvent sa voiture pour aller faire ses courses. C’est là un comportement parfaitement rationnel. De même, le supermarché peut considérer qu’il a plus à perdre à se trouver en rupture de stock et à mécontenter ses clients (et aussi à ne pas vendre) qu’à jeter une certaine fraction du rayon périssable.

D’autre part, les commandes par petites quantités qui permettraient un meilleur ajustement et des gâchis plus limités sont malheureusement très coûteuses du point de vue administratif et logistique. Elles nécessiteraient notamment plus de transports et plus de manutentions qui constituent une part non négligeable du prix final des aliments. Elles présentent d’ailleurs elles-mêmes un impact écologique important qu’un fractionnement ne ferait qu’augmenter

Là encore les choses, aussi choquantes soient-elles, ne se font pas par hasard. Il y a une forme de rationalité économique derrière ces choix. La logistique liée à la bonne conservation des aliments devient extrêmement coûteuse à tous les niveaux si l’on veut atteindre des taux de préservation très importants. Les gains marginaux en taux de préservations sont coûteux économiquement, énergétiquement et même écologiquement. Le niveau de gaspillage est un compromis entre le coût des pertes et le coût des frais de conservation, de manipulation et de gestion.

Tout cela est le fruit de l’industrialisation de l’agriculture qui a fait s’effondrer les coûts de production. C’est le même phénomène qui nous a permis de nourrir plusieurs milliards d’hommes qui nous conduit aujourd’hui à jeter une partie de ce qui est produit. Le gaspillage est facile à critiquer, mais il s’inscrit en réalité dans un processus compliqué relevant de toute l’économie de nos sociétés. Il est choquant, mais si nous étions plus nombreux, nous serions sans doute en réalité conduits non pas à jeter moins mais à produire plus… tout en jetant plus. Où serait le gain ?

Le gaspillage reste moralement choquant bien entendu, le retour à une production plus locale voire familiale permettra peut-être de le réduire, mais il s’accompagnera sans doute pour une part d’un retour à une situation antérieure où le coût de l’alimentation représentait une fraction plus importante des dépenses des ménages. Plus la nourriture sera précieuse et de qualité, plus les efforts pour la préserver seront rentables. C’est probablement en ce sens que nous devons agir en pleine conscience toutefois de ce que cela signifie en terme de prix des aliments.

Enfin, le gaspillage nous semble souvent d’autant plus intolérable que l’on met face-à-face les quantités jetées dans les pays les plus riches et les manques flagrants, sinon la famine, dans les pays les plus pauvres. Hélas, il n’y a pas de transferts possibles de l’un à l’autre. Jeter moins ici ne conduira pas à donner plus ailleurs; le caractère périssable des denrées et les coûts de transport et de manutention dans de bonnes conditions de conservation interdisent cette solution.

 

Par contre localement, il y a déjà eu d’intéressantes initiatives soit pour demander aux consommateurs à la sortie des supermarchés de donner pour les plus démunis, soit aux mêmes supermarchés de ne pas détruire la nourriture en voie de dépassement des dates de consommation recommandées, mais de la donner aux associations d’aides aux plus pauvres. Ces initiatives participent à une réduction économiquement réaliste des gaspillages. Le risque de constitution durable de populations systématiquement donneuses et d’autres systématiquement receveuses pose d’autres problèmes pour l’équilibre de la société mais c’est une question qui sort du strict débat sur le gaspillage. 

24. L’agro-écologie pourra nourrir 12 ou 20 milliards d’humains

Certaines personnes et même certains agronomes soutiennent ces points de vue. De nombreux arguments viennent toutefois les relativiser.

- Même si des progrès ont été réalisés dans la connaissance comme dans la technique, notamment pour lutter « écologiquement » contre les parasites, pour une part, les éléments fondamentaux de l’agro-écologie étaient largement présents dans l’agriculture du passé.

Il en est ainsi de l’absence d’utilisation d’engrais chimiques, de la pratique de la rotation des cultures et de l’assolement, du maintien des haies autour des champs, de la combinaison sur une même parcelle de production de natures différentes (cultures associées qui se renforcent l’une l’autre), d’une moindre utilisation d’eau, du choix de cultures adaptées au terrain, du labourage limité ou à faible profondeur, de la moindre mécanisation au profit du travail humain ou animal…

Tout cela, nos arrières grands-parents le pratiquaient déjà et, sans prétendre au statu quo, nous ne pourrons sans doute pas multiplier sensiblement leurs rendements (ou en tout cas pas dans les proportions de ce qu’a permis l’avènement de l’agriculture industrielle). Or l'agriculture d'autrefois n’a jamais nourri plus de un à un milliard et demi d’humains. C’est justement avec l’apparition de l’agriculture « industrielle », même avec son cortège d’inconvénients (engrais chimiques, mécanisation à outrance, monoculture…) que la production agricole a explosé permettant à l’humanité de gagner 5 milliards d’habitants depuis 1950.

Certes, cette agriculture industrialisée à outrance n’est probablement pas durable, elle détruit fortement les sols, consomme des quantités très importantes d’énergie et d’intrants divers (notamment les engrais eux-mêmes nécessitant beaucoup d’énergie pour leur production) et fournit enfin des produits de qualités nutritives et gustatives discutables. Il faudra donc en revenir. Mais cela ne doit pas conduire pour autant à surestimer les capacités productives des formes plus respectueuses d’agriculture. C’est pour d’autres raisons que ces dernières doivent être valorisées.

- L’optimisme des agrobiologistes s’appuie en partie sur une erreur méthodologique consistant à comparer un système réel (celui de l’agriculture d’aujourd’hui), c’est-à-dire soumis à tous les aléas du monde concret (compétences inégales, terrains peu adaptés, contraintes économiques diverses, guerres, dictature, événements climatiques exceptionnels…) à un système idéal dont on obtient la productivité en généralisant virtuellement au monde entier des expériences faites localement, sur des cultures particulières dans des conditions généralement optimales (pays chauds et humides par exemple) et avec des personnes motivées et compétentes dans un contexte économique protégé.

- Enfin, encore une fois, il ne s’agit pas que de nourrir les hommes, il faut les faire vivre en harmonie avec le reste de la planète et pour cela partager l’espace. Une culture non intensive, malgré toutes ses qualités, ne le permettra pas beaucoup plus qu’une agriculture industrielle (sauf pour la petite faune via la présence massive de haies)

 

Il ne s’agit pas là de critiquer l’agro-écologie en tant que telle, elle a beaucoup de vertus écologiques et il faut la favoriser, mais elle devrait être défendue pour ces qualités-là et non au nom d’une productivité dont on l’affuble dans un souci idéologique, loin de toute contrainte économique.

Questions d’ordre général

25. Vous vous inspirez de Malthus qui était un homme détestable

Démographie Responsable ne s’est jamais revendiquée malthusienne, ni dans la conception restreinte de l’adjectif au seul problème démographique, ni dans le sens plus général visant à considérer que la résolution d’un problème suppose la réduction de son ordre de grandeur, c’est là une question plus vaste qui dépasse peut-être le cadre que s’est fixé l’association.

Pour autant, oui, certaines idées de Malthus nous semblent recevables et en particulier celle soulignant l’impossibilité de fournir durablement des biens - Malthus faisait surtout référence à l’alimentation - en quantité suffisante à une population croissante dans un monde aux dimensions finies, dont inévitablement les ressources ne croîtront pas éternellement au même rythme que le nombre de ses habitants.

Longtemps le progrès technique a permis une exploitation plus intensive des ressources de la planète permettant ainsi de repousser les limites que Malthus voyait venir. C’est ce report des prédictions malthusiennes qui a permis à ses détracteurs de dire qu’il s’était trompé. Cependant aujourd’hui, la multiplication des problèmes écologiques, les tensions sur les matières premières, la pollution, les migrations semblent bien montrer que désormais ces limites sont atteintes et qu’en quelque sorte Malthus n’ait pas eu tort comme on le dit souvent, mais au contraire, ait eu raison avant l’heure.

Malthus est plus cité qu’il n’est lu, son style, ses préoccupations sont celles de son époque et les transposer aujourd’hui reste difficile. Malthus par exemple n’évoquait évidemment pas les enjeux écologiques pour justifier son appel à une démographie limitée.

 

En ce qui concerne la question de la pauvreté sur laquelle on l’a beaucoup critiqué, nous renvoyons à l’excellente édition de son ouvrage de référence : « Essai sur le principe de Population » (éditions Garnier Flammarion, présentée par Jean-Paul Maréchal) dans laquelle Malthus lui-même mais aussi Jean-Paul Maréchal s’expliquent sur le sujet. On est loin d’un Malthus indifférent, plus loin encore d’un Malthus cynique comme aiment à le présenter aujourd’hui de nombreux commentateurs sans s’être donné le mal de le lire ou d’en lire autre chose que des citations rapportées et hors contexte.

26. Vous n’aimez pas les enfants, vous êtes misanthropes

C’est au contraire pour que nos enfants disposent d’un monde plus vivable que nous menons notre combat. C’est même, aussi curieux que cela puisse paraître au premier abord, pour leur permettre à eux aussi d’avoir un jour des enfants, bonheur qui risque de leur être interdite par les lois ou par les faits quand le monde sera surpeuplé. La grande majorité des membres de Démographie Responsable a d’ailleurs des enfants.

27. Une bonne guerre ou une épidémie résoudra le problème

Heureusement, à l’exception de la Grande Peste du XIVème siècle (qui tua peut-être entre 5 et 10 % de l’humanité), jamais, ni une guerre, ni une épidémie n’a sensiblement et durablement influencé la démographie mondiale au cours de l’histoire des grandes civilisations. Les périodes de guerres sont d’ailleurs souvent suivies d’un rebond démographique qui fait plus que compenser numériquement les morts et les déficits de naissances liées au conflit. Ainsi le XXème siècle a simultanément connu l’épidémie de grippe espagnole, les deux plus grands et plus meurtriers conflits de l’Histoire ainsi que la plus forte croissance démographique (en valeur relative, comme en nombre absolu avec une multiplication de nos effectifs par quatre et un ajout de 4,4 milliards d’habitants). Les drames s’avèrent donc heureusement aussi inefficaces que moralement condamnables.

Il serait particulièrement immoral de compter sur ce genre de solution. Une telle forme de régulation irait à l’encontre de ce que nous pouvons souhaiter et de ce pourquoi nous militons. Il faut éviter au maximum une régulation par de telles catastrophes. Or, précisément, l’explosion démographique constitue un facteur puissant favorisant la compétition pour les ressources et donc la déstabilisation des sociétés et les conflits.

 

Là encore, le problème doit-être résolu par notre volonté et non par notre attente d’une confrontation de l’humanité aux limites de la planète. La régulation par cette confrontation constituerait un échec et une souffrance.

28. Nous irons sur Mars

Non, nous n’irons pas sur Mars.

C’est techniquement trop difficile. On ne sait pas faire (les modes de propulsion par exemple n’ont pas sensiblement évolué depuis la conquête de la Lune). Nous n’y avons d’ailleurs pas encore envoyé une seule personne, même au titre de la science, et plus le temps passe, plus l’échéance d’un tel voyage semble reculer. On ne compte plus, en la matière, les projets avortés.

Développer la technologie nécessaire et réaliser une telle entreprise serait trop coûteux. Les hommes ont dépensé environ 200 milliards d’euros d’aujourd’hui pour faire passer quelques heures à 12 hommes sur la Lune à 400 000 km d’ici, laissons chacun imaginer ce qu’il en coûterait d’amener plusieurs milliards de personnes pour un voyage environ 1000 fois plus long. Ajoutons que les menaces d’effondrement qui pèsent sur l’économie et sur la stabilité du monde ne plaident pas en faveur de la réalisation prochaine de tels projets.

D’ailleurs, Mars est invivable. Il ne s’y trouve pas d’atmosphère respirable, pas d’océans, pas de rivières, mais une gravité différente de la nôtre, une aridité au-delà de tout ce que nous connaissons et une température beaucoup plus froide encore que celle de nos pôles. La quasi absence de champ magnétique et la faible densité atmosphérique font que Mars n’offre qu’une très faible protection contre les rayonnements ultraviolets, les rayons cosmiques et le vent solaire. Bref, c’est un environnement absolument mortel pour l’homme, même si quelques photos donnent l’impression d’une certaine ressemblance avec la Terre.

Inutile d’insister sur les hypothèses dites de terraformation (transformer Mars pour qu’elle offre des conditions comparables à celles de notre planète). Elles sont encore plus inconcevables et situées dans un avenir aussi lointain qu’hypothétique sur lequel on ne peut rien dire ; un avenir de toute façon très au-delà du moment où se poseront les contraintes de la surpopulation terrestre (d’ailleurs ces contraintes se posent déjà).

De plus, Mars serait-elle vivable qu’elle est si petite - à peine plus du quart de la surface terrestre - qu’en quelques décennies en poursuivant notre rythme actuel de croissance (+ 80 millions par an), nous l’aurions couverte d’hommes avec la même densité que la Terre et n’aurions finalement fait que transposer ailleurs le problème sans résoudre le nôtre sur notre planète !

 

Oublions ce genre de scénarii « science-fictionnesques ». Ce qui est vrai pour Mars l’est encore plus pour toutes les autres planètes du système solaire qui présentent pour des raisons diverses des conditions encore plus inadaptées. Nous resterons sur la Terre. C’est là que doivent être trouvées les solutions. Par définition, étant le fruit de près de 4 milliards d’années de sélection naturelle dictée par les conditions terrestres, c’est à notre Terre que l’Homme comme tous les animaux serons toujours le mieux adaptés.

29. Il est trop tard pour agir.

Il est effectivement tard et une action forte en faveur de la modération démographique dès les années 1950 eut été infiniment préférable. Pour autant, cette objection est l’occasion de rappeler un phénomène fondamental en matière de lutte pour la préservation de l’environnement et en réalité pour tous les phénomènes présentant une grande inertie. Plus nous agirons vite, moins les remèdes seront brutaux. La surpopulation menace les équilibres biologiques mais aussi la démocratie et les mesures à prendre seront d’autant plus acceptables qu’elles seront prises rapidement. Elles seront d’autant plus douloureuses et liberticides que nous tarderons.

30. Il n’y a de richesses que d’hommes (*)

Cette maxime définitive qui prétend déconsidérer par avance toute tentative de maîtriser nos effectifs conduit à bien des contradictions.

 

Sur le plan philosophique d’abord. Si l’on estime que seul l’Homme - ou dans une perspective plus large, toute conscience - compte et mérite qu’on s’y attache et qu’elle doit être le seul objet de nos efforts (c’est un point de vue) alors, il est impératif de tout faire pour offrir à l’humanité les conditions de vie les plus décentes et les plus durables. A un stade donné, la qualité de vie offerte aux hommes entre en opposition avec leur nombre. Aussi « Il n’y a de richesse que d’hommes » doit sans doute se comprendre comme « soyons mieux ou donnons plus aux hommes » plutôt que comme « soyons plus ». Elle ne devrait pas, sauf à faire preuve de mauvaise foi, être utilisée par les natalistes pour justifier une croissance ininterrompue de nos effectifs. Sinon alors, pourquoi ne pas aller jusqu’à 100 milliards… afin que la planète porte le plus de richesses possibles ? On le voit bien, la poursuite infinie du raisonnement conduit à une absurdité.

 

Sur le plan économique ensuite, il est remarquable que bien des courants de l’économie politique aient restreint le champ de leur étude et plus particulièrement la création de valeur au résultat d’un travail. En ce sens, seul le travail humain est créateur de richesse, ce qui ne demande aucun travail, l’air que l’on respire par exemple, n’a pas de valeur, l’eau en a une parce que nous devons la capter, la traiter et l’acheminer.

Pourquoi pas ? L’économie qui traite de la production, de la distribution et de la répartition des « richesses » est une science humaine, elle est en cela libre de définir et de construire comme elle l’entend les concepts sur lesquels elle prétend s’appuyer.

 

On voit bien toutefois qu’il existe une limite à cette conception, l’économie elle-même ne pouvant exister que si, par ailleurs, les conditions de vie sur la planète sont maintenues (en ce sens l’économie est une sous-partie de l’écologie). Elle ne peut donc indéfiniment laisser de côté certains éléments sous le prétexte de leur « gratuité » économique.

 

Au stade de destruction et de menaces de destructions futures plus grandes encore où nous sommes désormais parvenus, il est temps d’intégrer la protection de l’environnement (en dehors même de tout aspect moral) à la réflexion économique et le concept de « ce qui vaut » doit être élargi sans doute au-delà de ce qui résulte de la seule activité humaine, faute de quoi, l’objet même de la science économique (et la dite science avec).

« Il n’y a de richesses que d’hommes » est donc un propos à manier avec précaution. Cette vision des choses ne doit conduire ni à une course démographique quantitative ni à une conception trop restrictive de ce qui compte sur la Terre.

 

(*) Cette citation est en réalité le résumé d’une phrase de l’économiste et philosophe Jean Bodin qui propose la formule plus complète « il n’y a richesse, ni force que d’hommes » L’analyse proposée ici répond à l’interprétation que l’on fait généralement de ces propos plutôt qu’aux intentions initiales de Jean Bodin dont le texte a été publié en 1576 dans l’ouvrage « Les six livres de la République ».