France Culture : Le Champ des possibles
L’émission de Joseph Confavreux, du vendredi 18 mars 2011, avait pour thème : « Faut-il restreindre notre fécondité pour sauver la planète ? ».
Le lien vers le site est ici.
Pour celles et ceux qui ne pourraient se connecter, mais aussi pour en garder une trace écrite, nous reproduisons ci-dessous son script intégral.

Joseph Confavreux

En ce moment, pour sauver la planète, les regards sont d’abords tournés vers le Japon, mais d’autres ont aussi leurs yeux fixés vers les courbes démographiques. Dans quelques semaines en effet la planète devrait atteindre les 7 milliards d’habitants, pour sans doute dépasser les 9 milliards en 2050. Cette croissance de la population effrayait déjà Platon quand la Terre comptait 40 fois moins d’habitants qu’aujourd’hui, mais la prise de conscience accrue des limites de notre monde fini redonne corps et vie à une doctrine dite "néo-malthusienne" selon laquelle il s’agirait de limiter les naissances pour ne pas épuiser à long terme les ressources de notre monde.

La crise écologique a donc relancé l’idée d’une maîtrise de la population, mais dès qu’on touche au "ventre des femmes", on semble attenter à la liberté humaine et les disciples de Malthus ont le plus souvent mauvaise presse. D’une part Malthus s’est trompé ne prévoyant pas que les sauts technologiques, en matière agricole notamment, pourraient nourrir une population en forte augmentation, ensuite Malthus s’inquiétait avant tout de la croissance démographique des pauvres et du coût social de l’assistance, et ceux qui militent pour un contrôle de la population sont vite suspects d’un même élitisme, puisque la croissance a d’abord lieu au Sud et en Asie. Mais la réduction d’une empreinte écologique de plus en plus insoutenable n’intègre-t-elle pas pour autant une variable démographique et que représentent alors ces mouvements qui au nom de l’écologie s’inquiètent de l’explosion de la population ?

Pour discuter de ces questions et de quelques autres, je suis en compagnie de 3 invités. Paul Ariès, directeur du journal « Le Sarkophage », vous venez de publier aux éditions "Les empêcheurs de penser en rond" un ouvrage intitulé « La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance » , mais je vous ai surtout fait venir pour un autre ouvrage paru chez "L'Harmattan" intitulé « Pour sauver la terre : L'espèce humaine doit-elle disparaître ? » et dont le sous-titre « De l’humanisme à l’humanicide, les délires terroristes des néomalthusiens » annonce à peu près vos positions à l’égard de ce mouvement. A vos côtés Francis Ronsin, vous êtes historien, vous avez publié un ouvrage intitulé « La grève des ventres, propagande néomalthusienne et baisse de la natalité en France » qui nous enseigne que les débats d’aujourd’hui font échos à certaines polémiques d’hier et enfin pour finir ce tour de table, Didier Barthès porte-parole de l’association Démographie Responsable dont le logo représente une planète surmontée d’un préservatif.

Petite question préalable, combien d’enfants chacun d'entre vous ?
2, 2 également, 2... Bon ça ne représente pas les différences idéologiques…

Pourquoi à votre avis, Paul Ariès, la peur de la surpopulation refait-elle surface aujourd’hui ? Est-ce en raison de l’affolement des projections démographiques ou en raison de la crise écologique accrue ?

Paul Ariès

Je crois qu’il est important de différencier le courant malthusien et les néomalthusiens. On pouvait encore croire en 1950 ou en 1970 à ce qu’on appelait la bombe D, démographique, c’est-à-dire l’idée d’un "trop d’humains". Cette thèse était crédible parce qu’il n’y avait pas encore eu le phénomène de transition démographique : le fait de passer d’un régime avec une forte natalité et une forte mortalité, à un régime avec une faible natalité et une faible mortalité. Il y a toujours eu un courant malthusien de gauche, notamment libertaire et aujourd’hui écolo, mais plutôt minoritaire. L’essentiel a toujours été proche de Malthus et Malthus finalement était le contre-courant de la philosophie des Lumières. Malthus, c’est 2 dangers. Le premier danger c’est bien sûr l’idée qu’il faut s’en prendre aux lois qui protègent les plus faibles et puis il y a une deuxième idée chez Malthus, c’est l’idée que le nombre excessif d’humains s’opposerait à la qualité de l’humanité. Je citerais simplement Marx : Marx disait que Malthus était le pire ennemi des pauvres et Proudhon ajoutait qu’il y avait un seul humain de trop sur la planète : c’était Malthus.

Joseph Confavreux

Didier Barthès, effectivement, il y a plus de 20 ans, un démographe comme Jean-Marie Poursin avait fait paraître un ouvrage intitulé « L’homme stable » et montrait que même si effectivement on était dans une augmentation démographique, du fait de la transition démographique on allait vers plus de stabilité de la population. Pourquoi alors, comme votre association Démographie Responsable le revendique, un préservatif sur la planète ?

Didier Barthès

Et bien d’abord parce qu’on est arrivé à un nombre tout à fait extraordinaire. On est aujourd’hui 7 milliards, c’est prévu dans quelques semaines, on va définir une date administrative bientôt. Il faut savoir quand même qu’on a mis 100.000, 30.000 ans comme vous voulez, pour atteindre 1 milliard d’Hommes, jusqu’à l’année 1800 (1820 à peu près). Aujourd’hui, c’est tous les 13 ans qu’on gagne 1 milliard d’Hommes ! On était 6 milliards en 1999/2000, on va être, vous voyez même pas 13 ans, on va être 7 milliards cette année. Donc, alors même qu’on a l’impression d’être dans un monde dont on nous dit partout que la croissance démographique est un problème réglé parce que la transition est en train de se faire, on s’aperçoit qu’en réalité, même si le taux de croissance diminue un petit peu, c’est faux. La Terre ne souffre pas des Hommes relatifs, mais des Hommes absolus. La Terre gagne un nombre d’Hommes extrêmement important, ce nombre, cette croissance, ne se réduit quasiment pas. Aujourd’hui à 7 milliards, c’est 220.000 personnes par jour, c’est une ville comme Paris tous les 10 jours. C’est énorme ! Oui il faut faire quelque chose.

Joseph Confavreux

Paul Ariès, vous allez répondre, mais je pense qu’il faut quand même en passer par une définition des termes, distinguer les malthusiens des néomalthusiens, mais si je me tourne vers notre historien Francis Ronsin, il faudrait distinguer les malthusiens, des néomalthusiens et des néo-néomalthusiens…

Francis Ronsin

D’abord qui était Malthus ? C’est traditionnel, 1766 - 1834. C’est un pasteur britannique, un économiste, reconnu comme un théoricien de l’économie libérale classique. Il n’est pas le premier penseur a avoir soutenu que la population, la croissance de la population, était la cause de bien des souffrances, vous avez cité Platon, on pourrait citer bon nombre d’autres noms, mais la célébrité de Malthus c’est qu’il a été le premier à avoir fait de l’évolution de la population la clé de voûte de l’économie politique et avoir voulu présenter des réflexions sur la démographie avec une rigueur quasi mathématique. Fausse, comme toutes les rigueurs mathématiques, mais disons avec un aspect totalement scientifique.

Cela apparaît dans 2 ouvrages, les 2 éditions successives de son « Essai sur le principe de population », 1798 et 1803. Alors pour lui, et là-dessus il n’a pas toujours été bien compris, les populations ont naturellement tendance à croître plus vite que les subsistances disponibles et nécessaires. Alors tendance, parce que évidemment ça n’est pas possible que les populations croissent plus vite que les subsistances. Elles se heurtent alors à ce que Malthus appelle les "obstacles répressifs", c’est-à-dire les famines, les guerres, les épidémies et qui les ramènent à quelque chose de vivable par rapport aux subsistances disponibles.

Joseph Confavreux

On peut quand même distinguer Malthus de ce qui se passe aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est pas simplement la peur de ne pas pouvoir nourrir les Hommes. C’est aussi que le nombre d’Hommes sur la planète amène à l’épuisement des ressources alimentaires et plus globalement à un épuisement des ses ressources en général.

Paul Ariès

Je crois que ce qu’il est important de dire, c’est qu’il n’y a pas trop d’humains sur Terre. Il y a trop d’hyper-consommateurs, il y a trop d’automobilistes. Le programme des Nations Unies pour l’Environnement nous dit : on peut nourrir 10 milliards d’humains avec un autre type d’agriculture, une alimentation relocalisée, re-saisonnalisée, moins carnée, moins gourmande en eau. Moi ce que je crains quand on met l’accent sur la bombe démographique, c’est que finalement, on mette la charge de la responsabilité sur l’humanité en général et non pas sur un système, qui est le système capitaliste, le système productiviste. Et puis j’aurais même autre chose à dire. Même si on croit que le problème, c’est le problème démographique, de par l’inertie du phénomène démographiques, si réellement il faut trouver une solution avant 30 ans, c’est pas par la démographie qu’on va le faire, c’est par un changement de mode de vie, par un changement de style de vie.

Joseph Confavreux

Didier Barthès est-ce qu’effectivement en mettant l’accent sur la démographie, vous ne faites pas passer au second plan le problème des inégalités dans l’allocation des ressources ?

Didier Barthès

On ne les nie pas du tout. Simplement on a monté une association pour évoquer le problème de la démographie et donc il est normal qu’on l’évoque. Moi je vous trouve quand même très sévère avec Malthus et un peu illogique, pardonnez-moi, sur la question de l’inertie démographique. Très sévère sur Malthus, car je me moque d’être malthusien ou pas malthusien.

Joseph Confavreux

Vous revendiquez le néomalthusianisme ?

Didier Barthès

Je ne le revendique pas du tout, peu importe. Je crois que la question de la démographie est importante et je l’évoque. Malthus, il n’a pas eu tort, il a peut-être eu raison trop tôt. La question fondamentale qu’il pose, c’est-à-dire est-ce qu’il va y avoir assez de ressources face à un nombre d’Hommes qui monte, elle reste valable, elle m’a l’air tout à fait juste et je crois qu’il a eu raison de la poser. En ce qui concerne le deuxième point sur l’inertie des phénomènes démographique, je ne comprends pas du tout le raisonnement de Monsieur Ariès, parce qu’il nous dit : comme il y a une inertie démographique, on ne va pas pouvoir régler les problèmes dans les 30 ans qui viennent. En général, quand on est face à un problème d’inertie, c’est justement là qu’il faut agir le plus tôt possible, je ne comprends pas pourquoi il ne veut pas s’y attaquer maintenant.

Paul Ariès

La planète, pour 2 ou 3 milliards de nord-américains ou d’européens, c’est trop. Pour 15 milliards d’africains, c’est tenable. C’est important de bien différencier aujourd’hui parmi ces groupes néomalthusiens. Il y a finalement 3 types de groupes : il y a d’un côté ceux qui prônent simplement la réduction de la population, ensuite d’autres organisations qui prônent une disparition de l’espèce humaine, c’est le cas de l’église d’Euthanasia, du mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité.

Joseph Confavreux

C’est pas le cas de Démographie Responsable !

Paul Ariès

Bien sûr, mais je dirais qu’à chaque fois, on retrouve toujours un certain nombre d’idées.

Joseph Confavreux

Excusez-moi, mais en quoi demander à informer sur le risque démographique c’est en vouloir à l’Homme ?

Paul Ariès

Mais quand on regarde concrètement ce qui s’écrit aujourd’hui dans les courants néomalthusiens, on nous dit que la première chose à faire c’est de supprimer l’Etat Providence, de supprimer l’état social. On nous dit ensuite, il faut stopper l’immigration. Mais puisqu’on nous parle de surpopulation, de qui parle-t-on ? Je dirais aujourd’hui la surpopulation, c’est le Sud, c’est-à-dire que ce sont les pays pauvres. Ce que je crains, c’est que derrière ce discours malthusien, ça soit tout simplement la volonté des pays opulents de se préserver une plus grande part du gâteau plutôt que d’accepter le partage.

Joseph Confavreux

C’est un reproche qu’on a fait à Malthus, ne vouloir que la réduction de la démographie des pauvres.

Francis Ronsin

Il est évident que je ne vois rien de sympathique dans le personnage de Malthus. Je suis un peu effrayé d’ailleurs et je pense que ceux que vous appelez néomalthusiens, quand vous les présentez, sont plus malthusiens que néomalthusiens.

Joseph Confavreux

Les néomalthusiens, c’est au contraire des progressistes. Le néomalthusianisme, pour préciser, c’est ce mouvement de la fin du XIXème siècle début du XXème siècle qui essaie de subvertir Malthus.

Francis Ronsin

Jusqu’à la seconde guerre mondiale à peu près. Pour revenir à Malthus, j’avais parlé des "obstacles répressifs", les malheurs de l’humanité. Malthus conseille de substituer à cela des "obstacles préventifs" qui sont la limitation volontaire des naissances. Comme il est pasteur, il n’admet que ce qu’il appelle "moral restraint" (la contrainte morale), c’est-à-dire le mariage tardif, pas de relations sexuelles en dehors du mariage et l’espacement des relations sexuelles dans le mariage pour limiter sa descendance, mais également il combat les "poor-laws" (les lois des pauvres) qui obligeaient les paroisses anglaises à aider les indigents.

Joseph Confavreux

Du coup, l’accusation que porte Paul Ariès est importante et c'est celle qu'on faisait à Malthus. Est-ce que quand on dit aujourd’hui contrôler la population, comme la croissance démographique se fait au sud, est-ce que on ne se trouve pas dans la situation de Malthus, d’être animé d’attentions dites générales, d’équilibrer les ressources par rapport aux hommes, mais au fond qu’une telle demande soit dirigée essentiellement vers un type de population, en l’occurrence les pauvres du monde, c’est-à-dire le Sud ?

Didier Barthès

D’abord, je précise que la caricature que faisait Paul Ariès des mouvements antinatalistes ne correspond en rien à ce que nous représentons. Nous ne voulons tuer personne, pas plus les pauvres que les américains, ce n’est pas ça le problème. Pour la question de l’inégalité de la répartition, des richesses, de la consommation, on est bien d’accord, ça existe aussi. Cependant, il me semble qu’il y a là un piège parce qu’en voulant défendre les pauvres, en croyant que des mouvements comme les nôtres s’attaquent aux pauvres, on fait une erreur, parce que les pauvres sont les plus nombreux sur terre et les pauvres vont vouloir consommer et il est normal de les autoriser un petit peu à consommer. Si on veut offrir un certain développement et on sait que le développement est d’ailleurs corrélé, en général, avec une baisse de la natalité, il va falloir que ces populations, de fait, consomment un petit peu plus et certainement polluent un petit peu plus. Donc on pourra baisser, nous, et il faut baisser bien évidemment, mais ça ne compensera pas. Donc le facteur démographique reste très important. Encore une fois, vouloir arrêter la croissance démographique, vouloir peut-être même qu’à terme on soit un petit peu moins nombreux, ça n’a rien d’antihumanisme, ça n’est pas contre les Hommes, c’est au contraire faire en sorte que demain, les Hommes aient un monde un peu plus agréable. C’est tout le contraire.

Paul Ariès

Je crois que ce qui est important c’est de différentier le vieux malthusianisme qui était la haine des pauvres et le néomalthusianisme qui est la haine des humains. Il y a un courant malthusien qui m’a toujours été sympathique, celui des milieux libertaires et féministes. On disait « on va faire la grève des ventres », parce qu’à travers la revendication du droit à l’avortement, du droit à la contraception, c’est l’émancipation féminine qui est en jeu et ça il faut poursuivre ce mouvement. Et puis il y avait la grève des ventres aussi avec cette idée qu’il ne fallait pas faire de bras pour les patrons. Mais aujourd’hui quand on regarde ce qui est en train de se mettre en place derrière le néomalthusianisme, c’est cette volonté de dédouaner le système, de considérer que ce qui nous conduit dans le mur ça ne serait pas le système capitaliste et productiviste, mais ça serait le trop d’humains et bien je regrette, les maliens sont des humains et ils ne sont pas responsables de la situation actuelle.

Joseph Confavreux

On le voit, le néomalthusianisme, le néo-néomalthusianisme, enfin tous ces mouvements qui pensent limitation des naissances pour des motifs écologiques ou des motifs de subsistance sont différents selon le bord politique, selon le contexte.

Ici : diffusion d’une archive audio de l’INA avec une intervention de René Dumont pendant la campagne présidentielle de 1974.

Joseph Confavreux

Comment expliquer qu’en 1974, René Dumont soit le candidat écologiste, et que dans sa profession de foi, la question démographique soit centrale, alors qu’aujourd’hui on a l’impression que c’est déserté par l’écologie ?

Francis Ronsin

Je vais dire quelque chose que je sais, René Dumont a été abonné au dernier journal néomalthusien qui a paru jusqu’après la seconde guerre mondiale qui s‘appelait « La grande réforme » . C’était un militant du néomalthusianisme, avant d’être un militant écologiste.

Joseph Confavreux

Comment cela se fait-il que dans les rangs de l’écologie politique, à part peut-être Yves Cochet, il y ait très peu de gens qui se revendiquent de ce mouvement historique ?

Paul Ariès

Lorsque Dumont aborde cette question, elle est mise en débat. Il n’y a pas encore de mouvement écologiste structuré.

Joseph Confavreux

Il y a Cousteau qui dit la même chose.

Paul Ariès

Bien sûr, il représente une sensibilité. C’est vrai que depuis, et bien je dirais que la transition démographique s’est produite à l’échelle planétaire. Il y a un terrain sur lequel on pourrait être tous d’accord. On peut avancer vers un meilleur contrôle des naissances à travers tout simplement la défense du statut des femmes. Chaque fois que l’on agit pour augmenter le droit à la culture, chaque fois que l’on agit pour défendre les droits à la santé, c’est le cas en Inde dans l’état du Kerala, on a très vite une diminution du taux de fécondité sans recourir ni à des méthodes coercitives, ni à une culpabilisation des humains.

Didier Barthès

On est d’accord !

Paul Ariès

Je crois qu’on ne pourra pas, en revanche, remettre en cause les logiques qui nous conduisent dans le mur, si on n’accepte pas de nommer les vrais responsables, c’est-à-dire les logiques productivistes, les logiques économiques. Lorsque Dumont dit on va manquer d’alimentation, on a envie de lui répondre avec 40 ans de décalage, ce que nous dit dans son dernier rapport le Programme de Nations Unies pour l’Environnement, 1/3 de l’agriculture mondiale est gaspillée. Changeons d’agriculture, changeons de type d’urbanisme.

Joseph Confavreux

Un des arguments pour contrer ceux qui s’inquiétaient de la surpopulation dans les années 50, c’est de dire qu’il y a eu des sauts technologiques comme celle de la révolution verte. Mais on voit aujourd’hui, avec l’agriculture industrielle que vous êtes le premier à critiquer, que cette question se posera quand même.

Paul Ariès

J’ai envie de vous répondre à la question posée : premièrement, il y a toujours trop d’humains pour ceux qui ne les aiment pas. Même si on considère qu’il y a trop d’humains, par qui on commence ? C’est-à-dire on sait très bien que les politiques coercitives sont des politiques non seulement inhumaines, mais totalement inefficaces. Donc c’est pas par là qu’il faut agir. Il faut agir sur le terrain culturel, sur le terrain sanitaire, sur le terrain social.

Joseph Confavreux

Didier Bathès la profession de foi de votre association, commence au contraire par « nous aimons les humains », parce que le contraire est une accusation fréquente ?

Didier Barthès
Et bien oui. C’est l’accusation systématique : avant de réfléchir, on dit cela. Bien sûr qu’on aime les humains comme les autres. Ça n’a rien à voir, c’est pas du tout un combat antihumain. C’est un combat pour que demain le monde soit vivable. Alors il y a 2 éléments dans ce dont on vient de parler qui me semblent importants. En ce qui concerne l’alimentation d’abord. Le pari suivant lequel on va pouvoir nourrir beaucoup de gens ne me semble pas si gagné que cela, parce que nous avons une productivité agricole qui est très forte et qui a fortement cru au cours du XXème siècle, notamment grâce à l’utilisation des énergies fossiles pour la fabrication des engrais, pour la mécanisation de l’agriculture, pour le transport des produits. Nous allons vers un monde sans énergies fossiles et pour la première d’entre elle, le pétrole, ça va être bientôt, c’est une affaire de décennies. Donc cela va peser fortement sur la productivité agricole.

Et puis la deuxième question qui n’a pas été abordée, mais qui est en rapport avec ce que pensent les mouvement écologistes, c’est sur la question de la protection animale. Dans un monde où nous serons nombreux, très nombreux, même si nous sommes pauvres, même si nous sommes frugaux, même si nous trions nos déchets, nous allons éliminer les grands animaux. Il y a un exemple extrêmement précis. Vous savez qu’il y a dans le monde deux pays qui sont montrés du doigt, qui sont vilipendés par les écologistes, qui sont les États-Unis et le Canada qui ont un mode de vie assez gaspilleur, assez consommateur. Et bien il y a encore aux États-Unis des panthères, ça s’appelle des pumas, mais ce sont des formes de panthères. Il y a au Canada des ours : ce ne sont pas des nounours, ce sont des grosses bêtes; il y a des élans, il y a énormément d’animaux. Ces pays là peuvent se le permettre uniquement parce qu’ils ont une faible densité. Nous qui avons un mode de vie à peu près comparable à celui des américains et bien nous ne pouvons pas nous le permettre. On voit là qu’il y a véritablement une question effective de nombre qui n’est pas une question idéologique mais physique. On ne la contournera pas.

Paul Ariès

Notre ami français en faveur d’une démographie responsable nous dit qu’il aime les humains. Mais je voudrais vous citer les slogans des 2 principales organisations internationales néomalthusiennes. Tout d’abord l’église d’Euthanasia : « Économisez la planète suicidez-vous » et le mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité « Le genre humain n’a aucune utilité ».

Joseph Confavreux

Ça représente quoi Paul Ariès, ça représente quelque chose ?

Paul Ariès

Ce que ça représente, c’est qu’un certain nombre de notions comme celle que l’humanité serait un cancer sont en train aujourd’hui de se banaliser. On a même un député européen d’Europe Écologie qui a titré son bouquin là-dessus. C’est d’une inconscience politique et intellectuelle totale.

Didier Barthès

Vous parlez complètement d’autre chose. C’est comme si moi je disais que les gens qui veulent être à gauche ou faire des mouvements sociaux, c’était Pol Pot. Ça n’a rien à voir. L’Euthanasia et le VEHM, ça n’a rien à voir avec nous. Honnêtement, vous le savez bien.

Joseph Confavreux

Tout à l’heure Paul Ariès prenait l’exemple du Kérala, cet état du sud de l’Inde où la promotion de la femme a permis de maîtriser mieux la démographie. Est-ce que globalement dans l’histoire, les politiques publiques sont actives sur la démographie ou est-ce que ça reste quelque chose avec une vraie inertie ? J’ai l’impression que l’histoire nous enseigne des choses contradictoires, d’une part on voit que la politique nataliste de la France a encore des effets aujourd’hui puisqu’on est un des seuls pays en Europe à assurer le renouvellement des générations, mais par ailleurs vous citez l’exemple de l’église au XIXème siècle qui n’a pas empêché la baisse des naissances. Est-ce que globalement la démographie est quelque chose sur laquelle on peut agir avec des politiques publiques ?

Francis Ronsin

Pour arriver au cas de la France, l’idéologie nataliste est plus que prédominante, d’ailleurs c’est la seule qui légalement a le droit de s’exprimer. Je vous rappelle que la contraception a été interdite en 1920, ainsi que la révélation et l’apologie de la contraception et de l‘avortement. La loi Neuwirth de 1967, qui rétablit la liberté de la contraception, comporte un article 5 qui précise que toute propagande antinataliste est interdite.

Joseph Confavreux

Toujours en vigueur, c’est tombé en désuétude, mais c’est toujours en vigueur.

Francis Ronsin

Le côté nataliste de la France, mais il n’y a pas que la France. C’est très clair. Il y a toutes sortes d’avantages. Vous parliez de statistiques, la France est le deuxième pays européen pour la natalité, tout de suite derrière l’Irlande. L’Irlande, c’est un problème de catholicisme et en ce qui concerne la France, ce sont des avantages sociaux, des incitations dans tous les sens et l’interdiction qui est unanimement respectée finalement d’aborder la question démographique.
Lors du débat autour des retraites, je me suis aperçu qu’on ne parlait jamais du coût des enfants. Les vieux allaient coûter cher, les enfants, ça ne coûte rien. Et le déficit de la sécurité sociale, c’est pareil, la dépendance, c’est la dépendance des vieux, mais les enfants à 4 ans, ils ne sont pas dépendants, ils ne sont pas une charge pour la société. Il y a, comme cela, une sorte d’impossibilité en France de parler du sujet.

Didier Barthès

Je veux bien revenir sur la question des retraites car c’est une question qui nous est souvent posée. On nous dit qu’on sabote les retraites de demain. Il faut quand même bien voir quelle est l’hypothèse opposée. Si pour assurer l’équilibre des retraites, il faut chaque fois faire une génération plus nombreuse que la précédente, on voit bien que c’est une course sans fin. Il faudra bien un moment se stabiliser et effectivement au moment de la stabilisation, il y aura une relative difficulté. Si on fait autre chose, les problèmes seront plus graves. Nous serions dans la situation ou quelqu’un ayant un emprunt lourd va en souscrire un autre encore plus lourd pour rembourser. C’est exactement ce qu’on appellerait de la « cavalerie ».

Joseph Confavreux

De la cavalerie démographique !

Didier Barthès

C’est cela : il faut en faire plus pour pouvoir supporter l’état actuel : c’est clairement une folie…

Joseph Confavreux

Paul Ariès, est-ce que votre charge contre les mouvements néomalthusiens n’est pas imprégnée de ce fonds nataliste français ?

Paul Ariès

Sûrement pas ! Moi je dénonce le scandale de la fermeture des centres d’IVG, je dénonce le scandale du manque d’éducation à la contraception et je crois qu’il faut vraiment redévelopper le féminisme. Mais en même temps, j’ai tendance à penser que 7 ou 8 milliards d’humains, c’est une chance. C’est une chance extraordinaire parce que cela va nous interdire de refouler la grande question historique qui est celle du partage. Je dirais que grâce effectivement à cette situation environnementale, grâce à cette situation démographique et bien il faut redevenir des partageux. Le seul espoir que l’on a, le slogan de la décroissance, c’est « moins de biens, plus de liens ». Plus de liens ça veut dire déjà cessons de considérer que le problème ce serait le trop d’humains. Parce que si on accepte cette idée, on finira par accepter les agrocarburants, c’est à dire par accepter de sacrifier l’Afrique.

Joseph Confavreux

Paul Ariès qui est anti-néomalthusien, il est un partageux et les mouvements néomalthusiens de la fin du XIXème et du début du XXème étaient aussi partageux. On s’y perd en terme d’idéal politique.

Francis Ronsin

Ce n’étaient pas des marxistes ou des socialistes. Dans une idée libertaire, ils pensaient plutôt à l’abolition de la richesse, l’abolition du travail, l’abolition de la propriété et pas le partage.

Joseph Confavreux

Ils n’étaient pas pour le partage du travail, mais pour son abolition

Francis Ronsin

Voilà. Pas pour le partage de la propriété, mais pour son abolition.

Joseph Confavreux

Vous pensez que 8 milliards d’humains c’est une chance ? Vous avez hoché la tête.

Francis Ronsin

Moi je prends le métro. Je ne sais pas combien vous voulez mettre de gens sur un siège…
Bon, mais il y a quelque chose qui me dérange beaucoup, dans cette façon de parler de néomalthusiens pour les mouvements actuels. C’est comme cela, dans l’histoire il y a des mouvements, des courants de pensée qui naissent et qui meurent. J’ai, il y a une dizaine d’années, fait travailler un étudiant, justement sur ces mouvements, à mi chemin entre la pensée démographique et l’écologie. Il était à l’institut international des sciences sociales d’Amsterdam. On s’est mis d’accord qu’on ne pouvait pas appeler ces mouvements néomalthusiens ou néo-néomalthusiens. On les a appelés éco-malthusiens, parce que les exemples que vous avez donnés sont vrais. Vous les avez évoqués un petit peu. Par exemple les mouvements australiens qui sont totalement tournés contre l’immigration et qui sont des mouvements xénophobes.

Joseph Confavreux

Éco-malthusien, Paul Ariès n’est pas d’accord.

Paul Ariès

Si bien sûr, éco-malthusien pourquoi pas. J’ai envie de dire, bien sûr ce serait beaucoup plus facile si on était 3 milliards mais nous ne sommes pas 3 milliards, nous sommes effectivement 7 milliards en marche vers 8 milliards. Alors comment fait-on ? Ceux qui prônent la diminution de la population, comment pratiquement vont-ils l’organiser ? Ceux qui pensent qu’il faut partager au contraire les richesses, ont eux des propositions qui sont démocratiques.

Joseph Confavreux

Par exemple vous Didier Barthès, dans le contexte français par exemple, vous demandez que les allocations familiales soient repensées ?

Didier Barthès

Dans une certaine mesure, pas complètement. On n’est pas contre les allocations familiales. Mais il est certain que favoriser systématiquement les familles les plus nombreuses sur l’argent des autres, car c’est quand même les moins nombreuses qui financent les plus nombreuses, il ne faut pas l’oublier. Ca ne tombe pas du ciel. On pourrait réorienter un petit peu, bien sûr. Il faut évidemment favoriser la contraception et on pense aussi, on n’a pas de baguette magique, on ne va pas faire baisser la fécondité mondiale. C’est bien évidemment dans les pays en voie de développement, qu’il faut faire des efforts extrêmement importants pour favoriser la contraception. On a lancé sur ce sujet une campagne de pétition pour la gratuité de la contraception dans le monde, c’est comme cela que l’on peut agir, à notre niveau c’est aussi briser le tabou et essayer de faire en sorte de montrer que les gens qui pensent cela ne sont pas des hurluberlus ni des gens tout à fait marginaux, qu’on peut faire venir le débat dans les principaux courants d’idées, les partis politiques.

Joseph Confavreux

Pour le moment, il y en a très peu que ça intéresse.

Didier Barthès

Pour le moment, il y a une unanimité touchante de l’extrême-gauche à l’extrême droite pour le natalisme, la quasi-totalité des courants écologistes sont aussi natalistes, même la fondation Hulot est réticente, sauf à ma connaissance un petit parti, le Mouvement Écologiste Indépendant qui a une certaine sensibilité en ce sens.


Un "apôtre du partage" bien peu tolérant...
Monsieur Ariès dénonce la « haine des pauvres » des malthusianistes et la « haine des humains » des néomalthusianistes, sans aucune démonstration qui soit à la hauteur de l’accusation portée, uniquement en isolant les slogans de groupes extrêmement minoritaires. Par contre, il semblerait que dans son discours et dans ses intonations (pour ceux qui ont eu accès à la version audio), la « haine du système » soit clairement présente. Or ce système, aussi critiquable soit-il, est porté et approuvé par une multitude de gens. De plus, cette vision manichéenne du monde, a de quoi interpeller, en tout cas beaucoup plus que le procès d'intention qui est fait à ces quelques "extrémistes" qu'il dénonce.

Ensuite, les propos de M. Ariès sont étonnement contradictoires, puisqu'il oscille entre une vision quasi (néo ou éco)malthusienne « On peut avancer vers un meilleur contrôle des naissances à travers tout simplement la défense du statut des femmes » ou encore « Il faut agir sur le terrain culturel, sur le terrain sanitaire, sur le terrain social » (M. Ariès est-il un éco-malthusien qui s’ignore ? ) et une charge (de cavalerie !) le reste du temps.
Il ne semble pas se rendre compte que si un certain nombre de personnes ne s’étaient pas farouchement opposées aux politiques de modération démographique proposées dans les années 60/70, tout comme il le fait la plupart du temps, nous serions beaucoup plus près de ces fameux 3 milliards, « ce serait beaucoup plus facile si on était 3 milliards, mais nous ne sommes pas 3 milliards », que des 7 milliards actuels.

Il ne semble pas non plus se rendre compte que ses phrases provocatrices « Alors comment fait-on ? Ceux qui prônent la diminution de la population, comment pratiquement vont-ils l'organiser ? » ou encore « Même si on considère qu'il y a trop d’humains, par qui on commence ? » sont tout à fait déplacées et montrent une certaine incompréhension des phénomènes démographiques, puisque tout comme une population peut augmenter "naturellement", elle peut tout aussi bien diminuer de la même manière sur plusieurs générations. Le cas de l’Allemagne ou du Japon en sont les exemples vivants.

Maintenant, cette déclaration : « 7 ou 8 milliards d’humains, c’est une chance, une chance extraordinaire parce que cela va nous interdire de refouler la grande question historique qui est celle du partage », amène plusieurs réflexions :
- d’une part, ce ne sont pas 8, mais 9 milliards d’humains qui sont prévus, et ce pour dans même pas 40 ans, et rien ne dit que nous allons en rester là.
- d’autre part l'attitude qui consiste à se réjouir de notre grand nombre à venir et des difficultés qui vont l’accompagner, et ce dans l’espoir de pouvoir mettre en œuvre une idéologie quelle qu’elle soit, ne rend pas forcément cette dernière très sympathique.
- enfin, et surtout, même en adoptant ce point de vue, le pari est extrêmement risqué car de nombreuses autres éventualités, malheureusement beaucoup plus probables, sont à craindre : repli sur soi, fermeture des frontières, guerres et famines. Il n’est pas sûr que cet "amour des humains" dont M. Ariès s’octroie l’exclusivité soit placé entre les meilleures mains. En effet, les incertitudes que font peser ses souhaits sur la paix mondiale (voire la survie de notre espèce à plus long terme), font certainement courir beaucoup plus de risque à l'humanité que ceux de ses contradicteurs.