Hommage à Claude Lévi-Strauss (3 nov 2009)

Face aux éloges unanimes, contentons nous d'apporter notre modeste regard sur un grand personnage dont certains propos, rapportés plus bas, frappent par leur clairvoyance.

L'expérience de terrain, la proximité avec les "peuples premiers" et leurs cultures, le regard à la fois scientifique, affectueux et nostalgique qu'il a porté sur eux et dont témoigne son brillant Tristes Tropiques, tous ces éléments ont rendu Claude Lévi-Strauss extrêmement sensible à la pérennité de leur existence.

Il a su comprendre et nous expliquer que la raison principale des dommages causés à ces communautés était la pression exercée par nos sociétés dites développées. Par extension, il a aussi été capable de se rendre compte que les mêmes causes engendraient les mêmes effets sur tous les êtres vivants qui peuplent la planète.

Hommage soit donc rendu à un des plus fervents défenseurs de la biodiversité.

Et bien qu'il ait écrit « Je hais les voyages et les explorateurs », souhaitons lui néanmoins chaleureusement "bon vent" pour son dernier périple...

 

Claude Lévi-Strauss déclarait en 2005:

« Ce que je constate, ce sont les ravages actuels, c'est la disparition effrayante des espèces vivantes, qu'elles soient végétales ou animales; et que du fait même de sa densité actuelle, l'espèce humaine vit sous une sorte de régime d'empoisonnement interne - si je puis dire - et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n'est pas un monde que j'aime ».

 

Claude Lévi-Strauss en Amazonie avec, à ses pieds, le petit singe Lucinda, son compagnon de voyage (Brésil, 1935-1939).

 

Extraits du discours de Claude Lévi-Strauss à l'occasion du 60ème anniversaire de l'UNESCO le 16 novembre 2005:

« L'Unesco a pu se convaincre que les langues sont un trésor, d'abord en elles-mêmes, et parce que leur disparition entraîne celle des croyances, savoirs, usages, arts et traditions qui sont autant de pièces irremplaçables du patrimoine de l'humanité ».

« L'Unesco le souligne dans tous ses textes, ces craintes ne sont malheureusement que trop justifiées par l'appauvrissement accéléré des diversité culturelles dû à cette conjonction redoutable de phénomènes qu'on appelle la mondialisation. Occurrence sans équivalent dans l'histoire de l'humanité, cette mondialisation résulte en grande partie de l'explosion démographique qui, en moins d'un siècle, a quadruplé l'effectif de notre espèce et où nous devrions voir la vraie catastrophe ».

« Diversité culturelle et diversité biologique ne sont donc pas seulement des phénomènes de même type. Elles sont organiquement liées, et nous nous apercevons chaque jour davantage qu'à l'échelle humaine, le problème de la diversité culturelle reflète un problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente, celui des rapports entre l'homme et les autres espèces vivantes, et qu'il ne servirait à rien de prétendre le résoudre sur le premier plan si l'on ne s'attaquait à lui sur l'autre, tant il est vrai que le respect que nous souhaitons obtenir de chaque homme envers les cultures différentes de la sienne n'est qu'un cas particulier du respect qu'il devrait ressentir pour toutes les formes de la vie. En isolant l'homme du reste de la création, en définissant trop étroitement les limites qui l'en séparent, l'humanisme occidental hérité de l'Antiquité et de la Renaissance a permis que soient rejetées, hors des frontières arbitrairement tracées, des fractions chaque fois plus prochaines d'une humanité à laquelle on pouvait d'autant plus facilement refuser la même dignité qu'au reste, qu'on avait oublié que, si l'homme est respectable, c'est d'abord comme être vivant plutôt que comme seigneur et maître de la création, première reconnaissance qui l'eut contraint à faire preuve de respect envers tous les êtres vivants ».

« Ces vérités seraient d'évidence pour les peuples qu'étudient les ethnologues. On se félicite donc que les organisations internationales, et au premier rang l'Unesco, prêtent à leurs intérêts vitaux et à leur pensée philosophique de plus en plus d'attention. Par de sages coutumes que nous aurions tort de regarder comme des superstitions, ces peuples limitent la consommation par l'homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral associé à des règles pour assurer leur conservation. Telles sont les leçons que les ethnologues ont apprises auprès d'eux en souhaitant qu'au moment où l'Unesco les aide à rejoindre le concert des nations, elle les assiste aussi dans leur volonté de conserver ces principes intacts et qu'elle encourage d'autres à s'en inspirer ».

Lévi-Strauss au 60° anniversaire de l'UNESCO

 

Femme et enfants Nambikwara (photos prises par Claude Lévi-Strauss au Brésil entre 1935 et 1939)

 

 

Catherine Clément était l’invitée de Marc Voinchet aux « Matins de France culture » le mercredi 4 novembre pour parler de Claude Lévi-Strauss:

- Catherine Clément, vous étiez son amie depuis près de 50 ans, une visiteuse amie attentive, lectrice également de ses travaux et puis la première au fond, dans la collection "Que sais-je", à lui consacrer un livre. On se réfère beaucoup depuis hier à Tristes Tropiques « Je hais les voyages et les explorateurs », la première phrase que son auteur voulait volontairement provocatrice.
- Non, non, c’est vrai, les voyages et les explorateurs à l’époque c’était la salle Pleyel, c’était un peu comme la star’ac aujourd’hui, c’étaient des trucs complètement vulgaires et qui disaient tout droit une idéologie coloniale. Ça nous racontait les sauvages, les cannibales, les curés dans les marmites qu’on faisait bouillir, enfin tout un tas de clichés. C’est-ce qu’il désigne en disant « Je hais… ». Ce sont aussi les explorateurs qui se vantent d’avoir retrouvé une tribu inexplorée, les premiers hommes primitifs réapparaître, c’est toujours bidon…
...
- Il n’a jamais été rétrograde, mais toujours vers l’avant
- Jamais rétrograde même si on l’a entendu « je ne suis pas un homme de mon siècle », à savoir du XX°, il se définissait plutôt comme un homme du siècle précédent.
- Oui ou du XXI°, j’aurais dit moi, c’est-à-dire qu’il était aussi très avant-gardiste. Oui à partir d’un moment il n’a plus aimé le siècle où il vivait, c’est exact.
- Et il employait les chiffres de la démographie pour le dire « je suis né on était un milliard et quelques et aujourd’hui on est un peu plus de six ».
- Oui il était devenu très très malthusien, c’était d’ailleurs forcené chez lui cette façon de parler du problème dès l’instant où l’humanité croissait et multipliait, il n’y aurait plus de quoi se nourrir. La dessus je pense qu’il se trompait puisque l’humanité a trouvé les moyens de se nourrir et les trouve de façon permanente.
...
- Vous semblez aussi dire que Claude Lévi-Strauss, au fond, a aussi été un moteur de développement d’idées qui sont souvent liées, notamment à l’écologie. C’était un mot qu’il employait?
- Ah oui bien sûr que c’était un mot qu’il employait. Je considère qu’il a été un des premiers penseurs écologistes, à peu près en même temps que René Dumont d’ailleurs. C’était une pensée très nourrissante et elle le reste. Il a affirmé cette dimension écologiste de plus en plus. Au point que son dernier article, quand il était paru en 2001 «La sagesse des vaches folles» qui est paru d’abord dans La Republica et qui a été repris en français dans « Études rurales » est un article qui analyse la situation de l’alimentation après la crise de la vache folle - vous voyez qu’il est resté de son siècle plus qu’il ne le disait - décrit un monde où l’alimentation carnée aura disparu, parce que on n’aura plus les moyens économiques d’entretenir des troupeaux et du bétail - c’est vrai que ça dépense beaucoup d’énergie. L’alimentation carnée aura disparu, le monde sera devenu végétarien. En revanche il restera des vaches libres, des troupeaux de vaches libres dans les bois et dans les forêts…
 
 
Par égard pour une très bonne amie de Claude Lévi-Strauss, nous ne chercherons pas à polémiquer avec Catherine Clément, et sur la possibilité de nourrir l'humanité, nous nous contenterons de renvoyer au texte de Hugues Stoeckel
 
 
Famille Nambikwara