"Population ou Surpopulation ?"

Revue Echo Nature - Janvier 2010

L’article présente l'intérêt de donner un grand nombre de chiffres et de statistiques concernant la population mondiale, dont certains sont connus et d’autres moins. On remarquera que son auteur insiste à juste titre sur le "paradoxe" suivant: le taux de croissance de la population a connu son maximum en 1960 (avec 2,02%), mais ce n’est pas à cette époque que la population mondiale a le plus augmenté en chiffre brut car ce taux s’appliquait à une population nettement plus faible qu’aujourd’hui. Et donc avec un taux actuel qui est redescendu à 1,18% , la population mondiale croît plus vite de nos jours qu’il y a 50 ans: 80 millions contre 60. Ajoutons que s’il est vrai que le maximum en croissance brut s’est situé aux alentours des années 90 (avec 88 millions), comme le montre un des graphiques proposés, au vu de ce qui précède on peut néanmoins penser que la mise en avant récurrente, de la part de certains démographes, de la diminution "de moitié" de ce taux de croissance est pour le moins contestable.

L’auteur s’intéresse ensuite au phénomène de l’urbanisation: « en 1800, à peine 2% de la population mondiale vivait en zone urbaine ». Aujourd’hui on est passé à 50% . Sans s’interroger sur la question de savoir si cette tendance de fond est une bonne chose pour les individus et/ou pour l’environnement, il insiste avec raison sur le fait que dans les pays en voie de développement, « une grande partie des nouveaux arrivants » sont accueillis « dans des bidonvilles, sans accès à l’eau ni à l’assainissement ».
Ce constat de la mauvaise réception des nouveaux arrivants l’amène à se poser la question suivante: population ou surpopulation? Et à formuler plusieurs conclusions:
- « Il apparaît évident que la grande majorité des nouveaux arrivants ne sont pas vraiment bien accueillis. Dans une très grande majorité des cas, le nouveau venu se retrouve dans un environnement où seule sa survie accompagne son quotidien pendant de nombreuses années et peut-être même toute son existence ».
« Si l’on considère la façon dont la très large majorité des nouveaux arrivants est accueillie sur la planète, la première réaction naturelle est d’essayer d’enrayer la progression ».
Bien que cette volonté soit "louable", l’analyse qui la sous-tend ne repose que sur la notion d’accueil. Ne faudrait-il donc pas s’inquiéter du tout si les nouveaux arrivants étaient "bien" accueillis? Les français sont à peu près bien accueillis, mais ils "consomment" 3 planètes, les nord-américains le sont aussi (moins bien?) mais ils "consomment" 5 planètes. Et donc quid de l’empreinte écologique, de la fin des énergies fossiles, de la pénurie d’eau et de nourriture, de la survie des espèces menacées? Une démographie durable devrait considérer non seulement la génération qui arrive, mais aussi les suivantes: ces dernières auront-elles encore assez de ressources et d’espace pour vivre dignement ?
- « Dans de nombreux pays, la question de la surpopulation humaine est tabou. Ce tabou est, généralement, la conséquence de dogmes religieux et de modèles économiques qui ne savent fonctionner qu’avec toujours plus de consommateurs »: cette constatation est aussi en partie la nôtre. En partie seulement car d’autre idéologies se sont malheureusement invitées à la "fête".
- « L’analyse des chiffres des dernières décennies montre que l’augmentation du niveau de vie ralentit fortement, voire même stoppe, la croissance démographique ». Il est dommage qu'aucun de ces [fameux] chiffres ne soit cité, car cela aurait donné du poids à cette affirmation. Quant à ceux donnés par cet article ils auraient plutôt tendance à montrer le contraire: même si elle est insuffisante, on observe actuellement une baisse de la fécondité presque partout dans le monde, même dans des pays qui ont un très faible niveau de vie (Asie, Afrique du Nord, Amérique Latine): seule l’Afrique fait exception.
Que la baisse de la natalité et l’augmentation du niveau de vie soient étroitement liées, personne n’en doute: mais quelle est la cause et quel est l’effet*? A ce sujet, Émile Benoît écrivait d’ailleurs ceci : « la possibilité d’accélérer la croissance du P.N.B. par tête en limitant l’accroissement démographique n’a pas une importance négligeable. Un économiste qui a examiné cette question est arrivé à l’étonnante conclusion que : "Si un certain montant de crédits était consacré à retarder la croissance démographique plutôt qu’à accélérer la croissance de la production matérielle, ces ressources pourraient être de l’ordre de cent fois plus efficaces pour l’augmentation du revenu par tête dans bien des pays sous-développés"»…
- « La meilleure réponse serait alors de permettre aux pays "pauvres" de se rapprocher rapidement des pays "riches" ». Cette réponse souhaitable sur le plan moral est-elle possible sur le plan des ressources de la planète?
- « Une telle réponse nécessiterait d’arrêter les politiques confiscatoires des ressources et impliquerait un vrai partage. Mais là le sujet est encore plus tabou que celui de la surpopulation et le silence est toujours de mise ». On peut tout de même s'étonner de cette dernière phrase, car à moins de parler d’un partage "absolu", qui serait déjà à des années lumières de ce qui se pratique au sein même de chaque pays, une notion plus générale de partage n’est pas particulièrement tabou: on ne compte plus les conférences internationales organisées autour de ce thème, les articles de presse consacrés au sujet, ainsi que les associations qui militent dans ce sens.

Au final, cet article de 4 pages, sous la plume de Michel Sage, propose un bon état des lieux et des pistes de réflexion intéressantes. Mais le moins que l'on puisse dire est que ses conclusionslaisseront le lecteur averti sur sa faim.


* Christophe Colomb (?) s’était posé une question "similaire" en son temps: "qui est venu en premier, l’œuf ou la poule?"