Téléphone sonne: la faim dans le monde

France Inter Le téléphone sonne du mercredi 13/10/2010

Étaient invités :

  • Mr. Mamoudou Assane, Secrétaire exécutif de la Fédération Mooriben au Niger (Association de lutte contre la pauvreté au Niger). En direct de Niamey (Niger).
  • Mr. Mamadou Diop, Responsable de l'Association USE (Union pour la Solidarité et l'Entraide). En direct de Dakar (Sénégal)
  • Mr. François Ernenwein, Rédacteur en Chef à La Croix.
  • Mme. Catherine Gaudard, Directrice du Plaidoyer au CCFD (Comité Catholique contre la faim et pour le Développement).
  • Mr. Jean-Louis Vielajus, Délégué Général du CFSI (Comité Français de la Solidarité Internationale).



L’impression générale est assez contrastée.

L’animateur, M. Alain Bédouet, a souligné le nombre de questions d’auditeurs mettant en cause la surpopulation et la croissance démographique. Il semble donc qu’une proportion non négligeable de nos compatriotes soit bien consciente du problème (voir plus bas*). C’est plutôt rassurant pour la tâche qui nous attend. Une fois encore nous constatons le décalage sous-jacent entre l’opinion publique et ses "élites" sur cette question.

Ce décalage est hélas souligné par les réponses. Les intervenants ont balayé en quelques mots ces propos rapportés par le présentateur, en insistant uniquement sur des problèmes d’organisation (essentiellement de réglementation financière d’ailleurs), voire des questions de morale.

Pour un bon nombre d'entre eux, le monde physique et ses limites n’existent pas. Les problèmes ne peuvent venir que de la mauvaise organisation des humains et de l’avidité de quelques-uns. Bien que nous ne rejetions pas ce raisonnement, en s'y limitant, on se donne à bon compte une posture de bien-pensant.

Et quand même, que de contrevérités et de mauvaise foi pour y arriver.

Contrevérité avec l’affirmation, présentée comme une évidence, que l’on produit aujourd’hui une fois et demi ce qui nous est nécessaire (ce qui laisse entendre que nous aurons bien assez pour les 9 milliards que nous serons dans 40 ans). C’est une affirmation totalement gratuite que l’on aurait aimé voir étayée par des données précises et vérifiables.

Mauvais foi ou incompétence ensuite car si nous produisons beaucoup (et sans doute assez ou presque assez) aujourd’hui c’est parce que notre mode de production industriel pille les ressources de la planète (notamment en soustrayant de plus en plus de surfaces à la nature, en appauvrissant les terres cultivées et en consommant les ressources d’énergies fossiles). Ce comportement est non durable, car ces trois limites vont bientôt arriver à leur termes et nous risquons avant la fin de ce siècle de nous trouver face à une baisse sensible des rendements et en conséquence de la production agricole mondiale.

Incompétence aussi sur les chiffres. On parle de 1 milliard de mal nourris et on laisse entendre (lecture d'une publication de CCFD-Terre solidaire) qu’avec 30 milliards d’euros on réglerait le problème. Faisons le calcul: cela donne 30 euros par personne et par an, soit moins de 10 centimes par jour, qu'ils soient investis ou distribués en aide directe. Et bien non: c’est une contrevérité, tout simplement. Un peu de réalisme aussi serait bienvenu, quand un problème est simple il se résout, si cela fait des siècles qu’il existe des famines dans le monde, un "impôt" miracle ne saurait y remédier.

Mauvaise foi de nouveau ou, pour le moins, contradiction, quand, dans le même temps certains intervenants vantent le niveau de production mondiale agricole et déplorent que l’on assèche les nappes phréatiques et que lon pollue l’environnement. Mais hélas l’un est la conséquence de l’autre, c’est bien parce qu’on détruit l’environnement que l’on arrive provisoirement à produire autant. On ne peut pas se réjouir de l’un (et plus que se réjouir, compter dessus et le considérer comme acquis) en condamnant l’autre.

Quant à imaginer que les différents intervenants puissent être conscients que des terres devraient être consacrées à autre chose qu’à la production agricole et puissent être laissées à la nature pour l’équilibre et la beauté du monde et par respect envers les autres espèces...

Notons toutefois pour être honnêtes que l’un des invités (visiblement plus au fait des réalités de terrain puisqu'il habite le Niger où les femmes ont encore 7 enfants en moyenne...), à savoir Mr. Assane, a commencé son intervention** en insistant justement sur la contrainte démographique et le décalage entre croissance de la population et croissance économique. Il est hélas très vite revenu à des explications plus conventionnelles.

Didier Barthès

* Intervention d'Alain Bedouet: Il y a une chose dont on n'a pas encore parlé, j'ai beaucoup d'appels là-dessus, c'est la démographie. Beaucoup de messages sur la croissance démographique et ce que les internautes, les auditeurs estiment avoir une responsabilité dans les ravages de la faim. Je vous donne un petit échantillon de ce qu'on reçoit. Ce sont manifestement des gens de bonne foi qui se posent vraiment des questions.
- Denis de Marseille: « J'aurais aimé que les invités nous expliquent comment il va être possible de nourrir les plus de 2 milliards d'êtres humains supplémentaires annoncés pour 2050, alors que d'ores et déjà 1 milliard d'entre nous souffre de malnutrition chronique.»
- Gilles de Belle-et-Houllefort [Pas-de-Calais]: « La lutte contre la faim dans le monde ne doit-elle pas commencer par des mesures pour éviter la surpopulation?»
- Christine de Cherbourg: « Lutter contre la faim, tout à fait d'accord, mais que fait-on pour au moins limiter le nombre de bouches à nourrir, autrement dit, le nombre d'enfants dont beaucoup sont malnutris ou dénutris. N'y a-t-il pas une dimension démographique et ne faut-il pas lutter en parallèle pour tout simplement limiter les naissances dans les pays pauvres.»
A. Bedouet revient ensuite à la charge: « Si vous le permettez, parce que vraiment j'ai beaucoup de questions là-dessus et elles sont souvent directes, faut-il ou pas, de votre point de vue les uns et les autres agir aussi (en même temps encore une fois), agir appelons ça "contrôle des naissances", la formule vaut ce qu'elle vaut, mais c'est vraiment la question que les gens se posent.»
Notons au passage que l'animateur du "téléphone sonne" utilise le terme "contrôle des naissances" inutilement polémique et rappelons d'autre part que 35% des femmes d'Afrique subsaharienne sont en demande insatisfaite de contraception: grâce à la planification familiale, on pourrait donc déjà en partie résoudre le problème de la surpopulation...
** Mamoudou Assane: « Si on prend le contexte nigérien où vous avez une croissance démographique de 3,3% et une croissance agricole de 2% (ou certaines années même une croissance négative), il est évident que dans ce contexte là, la nécessité d'agir sur le paramètre démographique est indispensable pour atténuer les effets des crises alimentaires et évidemment assurer le droit à l'alimentation pour chacun des citoyens. MAIS... »