Tribunal pour les générations futures

Intervention de Didier Barthès à la conférence du mardi 17 janvier 2012 organisée par le magazine Usbek et Rica et tenue à la Gaité Lyrique dans le cadre de la série « Tribunal pour les générations futures ». Le thème en était : Sommes-nous trop nombreux sur Terre ?

Cette intervention a fait suite à celle du démographe Gilles Pison qui a dressé un panorama démographique mondial et a décrit le mécanisme de transition démographique. Elle a précédé celle de l’écrivain Théophile de Giraud (organisateur de la fête des « non parents » et auteur de « L’art de guillotiner les procréateurs ») qui a présenté une vision antinataliste forte et celle de Thierry Keller, rédacteur en chef d’Usbek et Rica, qui, revenant à une vision plus conventionnelle, a insisté sur le rôle prédominant du mode de vie plutôt que sur celui des effectifs.

Dans cette mise en scène sous forme de procès, le démographe constituait l’expert présentant le contexte, Didier Barthès et Théophile de Giraud, les accusés pour leurs propos et Thierry Keller le procureur.

La conférence a été suivie du vote d’un jury tiré au sort qui à l’issu d’un bref échange avec les intervenants a répondu "non" à la question qui constituait l’intitulé de la conférence.
Bonsoir,

Les différentes simulations que Monsieur Pison nous a présentées l’ont bien montré : l’avenir est incertain. On s’en doutait ! Selon les différents scénarii, on peut avoir une explosion, on peut avoir une diminution, on peut avoir une stabilité.

Malgré ces incertitudes, il y a un point sur lequel je suis prêt à prendre un pari. Ce pari c’est que, de façon obligée, au cours de ce siècle, l’humanité devra mettre la question écologique au cœur de ses préoccupations.
Nous n’avons pas le choix, parce que l’alternative c’est tout simplement l’impossible :
C’est un monde invivable, c’est un monde pollué, c’est une absence de forêts, ce sont des sols dégradés, pour une bonne part d’ailleurs, tout simplement asphaltés, ce sont des animaux qui ont disparu, ce sont des poissons qui ont disparu. Pour les poissons, d’une certaine façon, c’est déjà fini : les stocks de poissons sont aujourd’hui de 80 à 90 % plus faibles que dans les conditions naturelles.
Donc, nous n’avons pas le choix.

1 La démographie : Un facteur négligé
Cette inquiétude elle se voit déjà : elle se voit dans les discours au moins.
Elle se voit dans la création d’un certain nombre de partis écologistes.
Elle se voit également dans les partis traditionnels à travers l’élaboration d’un certain nombre de volets écologiques à leur programme.
Elle se voit enfin dans le monde commercial où pratiquement tous les produits, aujourd’hui, nous vantent leur innocuité environnementale.

Ces discours, ces mesures, sont une façon de reconnaître les pressions que l’homme fait peser sur l’environnement. Les contraintes que l’on nous impose, par exemple : économiser l’énergie, recycler les matériaux, etc. Tout cela constitue une façon de répondre aux facteurs de pression, de lister ces facteurs et de les acter.
Dans toutes les discussions sur l’écologie il existe un débat sur chacun de ces points : sur la pollution, sur la pêche, sur la protection animale, etc. Et puis curieusement, il existe un facteur, un facteur de pression à mon avis absolument évident, c’est le nombre des Hommes.
Ce facteur-là, il est tabou, ce facteur-là, il est interdit, ce facteur-là, il est ignoré et il est ignoré même de mouvements écologistes dont on pourrait pourtant penser qu’ils devraient le mettre en tête de leurs préoccupations.

Je reviendrai sur le « pourquoi » il faut mettre en avant ce facteur ainsi que sur les raisons et les conséquences de cette négligence.

Je veux m’arrêter sur les chiffres, et vous présenter quelques données.


2 Les chiffres, les ordres de grandeurs. (en partie, commentaires de graphiques à l’écran).

Ce graphique représente l’évolution de la population mondiale depuis 10 000 ans, depuis ce que l’on a appelé la révolution néolithique, c’est-à-dire depuis que l’Homme est passé d’une économie de prédation à une économie de production.
Ce n’est pas pour vous montrer l’extraordinaire taux de croissance, celui-là, vous le connaissez déjà, c’est pour m’arrêter sur deux points.

- Nous sommes en haut de la pyramide, juste à l’extrémité, cela veut dire, et c’est souvent négligé dans les débats sur la démographie, et là je suis d’accord avec M. Pison, il faut prendre du recul, cela veut dire que l’on vit une époque absolument exceptionnelle. C’est un point spécial de l’Histoire de l’Humanité.
Je veux dès à présent désamorcer certaines critiques, je sais que cela ne va pas continuer comme cela, ce n’est pas possible. Nous sommes dans un moment absolument particulier, nous vivons sur une pointe, nous n’avons jamais connu cela et nous ne le connaitrons jamais plus.

- L’autre point que je veux évoquer, c’est l’ordre de grandeur. A l’époque, il y a 10 000 ans, l’INED était encore balbutiante, nous ne savons pas exactement combien nous étions, mais l’on estime généralement qu’il vivait sur la Terre entre 5 et 10 millions d’Hommes. Nous sommes 7 milliards aujourd’hui, c’est-à-dire très précisément 1 000 fois plus nombreux !

Ce n’est rien de le dire comme ça, mais je vous demande de vous y arrêter. Imaginez un monde où pour 1 000 Hommes qui vivent aujourd’hui il y en avait un seul ! Nous étions dans un autre monde. En 10 000 ans, ce qui n’est pas grand-chose dans l’Histoire de la vie sur Terre mais ce qui n’est même pas énorme à l’échelle de l’Histoire de l’Humanité nous avons multiplié notre nombre par 1 000 !

Je vous montre maintenant le même graphique que M. Pison mais avec une présentation différente. C’est M. Garnier, président de Démographie Responsable qui a établi cette courbe. Voilà ce qui s’est passé sur les 2 000 dernières années.

Ce recul de 2 000 ans est intéressant parce, lorsque l’on analyse les évènements à cette échelle il y a des propos qui nous sont toujours opposés, c’est la célèbre phrase de la Genèse :
« Croissez et multipliez ».

Elle est remarquable cette phrase, parce qu’elle nous est opposée par beaucoup de gens et par des gens de nature très différentes.

- Elle nous est opposée par des croyants assez traditionalistes qui s’attachent au texte.
- Elle nous est opposée par des gens qui ne sont pas forcément croyants mais qui partagent ces valeurs : L’Homme est sacré, le nombre d’Hommes est sacré, on ne doit pas chercher à le limiter.
- Elle nous est opposée enfin, par une catégorie tout à fait différente, faite de non-croyants militants qui nous disent : « Voyez : c'est cette phrase qui est responsable ! Au lieu de nous présenter vos chiffres : attaquez-vous aux religions, ce sont elles les coupables.»

Ce n’est pas notre affaire, évidemment. La question de la foi est une question intime, propre à l’âme de chacun, nous n’avons pas à aborder cela au sein de Démographie Responsable. Par contre, il est intéressant de montrer qu’à chacun d’entre eux, et malgré leurs différences, quelles que soient leurs positions, on peut faire exactement la même réponse.

Nous disons : « Voyez, cette phrase a été écrite il y a 2 000 ans. C’est-à-dire dans un monde où il y avait (là encore, l’INED était bébé) entre 150 et 250, disons 200 millions d’habitants ! Nous sommes 7 milliards, c’est-à-dire qu’il y avait 35 fois moins d’Hommes qu’aujourd’hui ».
Là aussi c’est un autre monde, cela n’a rien à voir.
Les gens savent que nous étions moins nombreux auparavant, mais beaucoup ne connaissent pas par cœur ces chiffres ou en tout cas, n’ont pas intégré ces ordres de grandeur.

Le phénomène ne s’est pas arrêté là. Récemment, au cours du seul 20ème siècle, nous avons multiplié nos effectifs par quatre. Nous étions 1,6 milliard en 1900, nous étions 6 milliards en l’an 2 000 et depuis nous avons encore gagné un milliard de plus.
J’ai un souvenir particulier. C’est le jour où l’Homme a posé le pied sur la Lune. Depuis ce jour, le 21 juillet 1969 où Neil Armstrong a marché sur notre satellite, ce n’est pas si lointain, nous avons multiplié nos effectifs par deux !
Cela a nourri ma réflexion, je trouve que c’est impressionnant et qu’il faut l’avoir à l’esprit.

3 Surpopulation : Une menace pour la durabilité
Je reviens maintenant sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire sur ce "pourquoi la surpopulation pose problème pour notre avenir".

C’est d’abord pour une question d’ordre de grandeur.

Ce n’est pas par dogmatisme que Démographie Responsable milite pour une démographie plus douce, c’est d’abord par réalisme, par prise de conscience de ces ordres de grandeur.

On peut faire quelque chose pour la consommation de matière, on peut faire quelque chose pour la consommation d’énergie, on peut essayer de prélever moins de ressources, on peut avoir des voitures qui consomment moins, on peut recycler les matériaux. Tout cela, les écologistes en parlent, les règlementations, comme je vous l’ai dit, commencent à le prendre en compte. Mais il y a une chose que l’on ne peut pas faire : c’est jouer sur la consommation d’espace.

Quoi que l’on fasse, sauf à entasser les Hommes et encore faudra-t-il disposer de zones réservées à la production, quoi que l’on fasse nous sommes en train de grignoter la planète.

Cela se constate physiquement sur les photos satellites ou l’on voit les villes qui grandissent, cela se voit sur les images de l’Amazonie toujours plus grignotée.
Cette pression se traduit concrètement par une élimination du vivant.
Je prends souvent l’exemple du tigre parce que c’est un bel animal, le prédateur par excellence, un symbole : nous n’avons pas seulement abaissé ses effectifs. Nous avons, en 100 ans au cours du seul 20ème siècle, éliminé 93 % de ces animaux et nous avons encore éliminé 3 des 7 % restant au cours des seules dix dernières années. En 110 ans nous avons tué 97 % des tigres !
Ce n’est pas la peine que je fasse un dessin : on ne peut pas continuer comme cela. Le tigre c’est une chose, il y a hélas tant d’autres animaux pour lesquels c’est pareil.

C’est-à-dire que, quoi que l’on fasse, aussi écolo soit-on, aussi bien-pensant soit-on, de toute façon notre croissance démographique, notre omniprésence élimineront le reste du vivant.

Veut-on d’un monde composé seulement de villes, d’usines, de champs traités de manière industrielle ? Moi : Non !
C’est cela qui motive notre point de vue à Démographie Responsable, je pense que cela n’est pas un monde qui est beau, je pense qu’un autre monde est possible et que nous devons aller vers une démographie plus douce.

Je ne dis pas, notez-le bien, que le problème démographique est le seul problème ou le plus important. Je dis une chose un peu différente, je dis que c’est le problème clef. J’entends par là que si nous échouons sur la question démographique, alors nous échouerons aussi à régler tous les autres problèmes environnementaux. On peut toujours consommer deux fois moins par personnes, si nous sommes deux fois plus nombreux vous comprenez bien que nous restons sur un statu quo. S’ajoute à cela la question de la préservation des espaces naturels que je viens d’évoquer.

A l’inverse, si l’on redescend à des niveaux de population plus bas, alors, nous pourrons sauvegarder des espaces naturels où vivront d’autres espèces, nous pourrons également nous contenter d’énergies renouvelables. Le débat sur le nucléaire, sur la fin des énergies fossiles aura alors beaucoup moins de pertinence le jour où nous pourrons de fait et sans difficultés particulières nous contenter d’énergies renouvelables. Être moins nombreux constituera pour cela une condition importante.


4 Pourquoi ce silence ? La réalité et les raisons du tabou
Je voudrais dire un mot sur les raisons pour lesquelles on néglige la question de la surpopulation dans les débats autour de l’écologie.

Sur le tabou d’abord. M. Pison et M. Mao l’ont évoqué. Il est bien réel. Je peux vous dire que pour militer à Démographie Responsable nous le rencontrons fréquemment. On nous traite à peu près de tous les noms.

C’est un véritable florilège :
Fascistes …. Je ne sais pas pourquoi, je ne vois pas le rapport !
Eugénistes….Jamais, jamais j’insiste bien nous n’avons prôné une sélection ou une sélection artificielle. Nos positions n’ont rien à voir avec cela.
Antihumains…. J’y reviendrai.
Ou aussi, j’ignore si j’ai le droit de prononcer des gros mots… Bon, alors je le dis doucement… Malthusiens. Là, c’est la corde au cou avant d’avoir fini de prononcer le mot.
Les plus extrémistes aussi nous proposent de nous suicider afin de mettre en accord nos actes et nos propos. Ça fait toujours plaisir…
Bon enfin, je résume, il existe un rejet très fort.

Pourquoi tout cela ?

D’abord il y a les préceptes sacrés que j’ai évoqués tout à l’heure.

Il y a aussi une conception facile de l’humanisme : plus d’Hommes c’est mieux…. Il n’y a de richesses que d’Hommes…. Enfin, vous connaissez ces phrases que, pardonnez-moi, je trouve assez stupides. Parce que, s’il n’y a de richesses que d’Hommes alors : allons-y, soyons 100 milliards, soyons 200 milliards, il n’y a plus de limites, soyons le plus riche possible.

Il y a une méconnaissance des chiffres, ces ratios, un sur mille et sur trente-cinq, tout le monde ne les a pas en tête.

Et puis, il y a aussi cette perspective de la stabilisation et là c’est un débat intéressant que nous aimons avoir avec les démographes. Cette stabilisation qui nous est annoncée pour le courant de ce siècle. Nous serons 9… 10 milliards.
Je ne remets évidemment pas en causes les chiffres ou les hypothèses qui vous ont été présentées tout à l’heure, je les crois au contraire très sérieuses mais elles posent un certain nombre de problèmes.

Le premier de ces problèmes c’est le niveau de cette stabilisation. Si nous nous stabilisons à neuf milliards, qu’allons-nous faire du monde naturel ? Vous avez bien vu ce que l’on a fait à sept milliards. Je ne vois pas en quoi en en ajoutant deux ou trois c’est le minimum que l’on puisse envisager, on va améliorer les choses. Cela me semble extrêmement improbable.

Le second point sur lequel je veux insister c’est l’évolution du taux de croissance : Oui, c’est vrai, ce taux de croissance diminue.

Le maximum a été atteint vers 1970 et autour avec + 2,1 % par an, il est aujourd’hui de + 1,2 % par an environ. Mais bien évidemment, un taux de croissance plus faible mais qui s’applique à une base plus large conduit à une croissance absolue identique.

(Maintenant quelques commentaires de graphiques)

Vous voyez sur ce graphique qui présente la croissance annuelle mondiale de la population (en nombre d’Hommes et non en pourcentage) depuis 1950, qu’aujourd’hui, en 2010, nous « gagnons » environ 80 millions d’Hommes par an. Or dans la décennie 1960 qui constitue la décennie symbole de l’explosion démographique, on avait un taux plus fort mais une base plus faible et finalement l’on « gagnait » plutôt 70 millions d’Hommes par an. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, on « gagne » plus d’Hommes chaque année que l’on en gagnait dans ces périodes-là. Et c’est bien le nombre absolu d’Hommes qui est déterminant pour la pression exercée sur l’environnement.

Je profite de ce graphique pour vous signaler cette pointe vers le bas autour de l’année 1960. Ça c’est l’effet du « Grand bond en avant » de Mao Tsé Toung. C’est assez catastrophique car cela a fait de très nombreuses victimes et il y a eu beaucoup moins de naissances du fait de cet épisode dramatique. C’est justement ce que nous voulons éviter à Démographie Responsable. Nous voulons faire baisser la population mais pas avec ce genre d’accident. J’insiste là-dessus car je sais combien nous sommes assez facilement caricaturés, notre combat, c’est justement pour éviter cela, essayer de contribuer à éviter ce genre de crise.

Deuxième point sur lequel je veux m’arrêter, vous voyez qu’en 2050, on envisage toujours une croissance de la population de 40 millions d’habitants par an : ce n’est pas rien !

Dernier point que je souhaitais évoquer : On ne connaît pas bien l’avenir.

En 2050, nous sommes d’accord nous serons environ 9 milliards, un peu plus… un peu moins.

En 2100 par contre, les prévisions de l’ONU naviguent entre une hypothèse basse à 6,2 milliards d’habitants et une hypothèse haute à 15,8 milliards d’habitants. C’est une autre façon de dire : On n’en sait rien ! C’est assez normal parce que le niveau de la population en 2100 dépend du nombre de naissances qui auront lieu au cours de ce siècle c’est-à-dire du comportement reproductif de gens qui sont ou très jeunes ou qui ne sont même pas encore nés.
Donc il y a pour l’avenir une grande incertitude, mais il n’y a pas symétrie des conséquences. D’un côté il y a un monde peut-être vivable à 6 milliards et de l’autre côté un monde à 15,8 milliards qui, j’en fais le pari, un pari triste, mais que je fais quand même, est un monde invivable.

5 Oui, on peut agir

Alors : Peut-on agir ou faut-il simplement déplorer l’inertie de ces phénomènes ?

On peut agir sur la contraception dans les pays les plus pauvres où il existe une demande insatisfaite de contraception.

Dans les pays les plus développés on peut également agir. Nous militons dans un pays comme la France en faveur de politiques fiscales et sociales qui soient réorientées de façon plus favorable vers les familles moins nombreuses (et moins favorable vers les familles plus nombreuses).

6 Conclusion : La modestie démographique, la nouvelle forme de l’humanisme
Je tiens aussi à dire un mot sur la question de l’humanisme. Trop souvent notre combat est compris comme un combat anti humaniste parce que nous sommes contre le nombre. Nous ne sommes pas contre l’humain pour autant.

Pour moi l’humanisme c’est deux choses.

D’une part, c’est une obligation morale. Celle de ne pas détruire le monde. Cela : je le pose, je crois que l’Homme n’a pas le droit de détruire le reste du vivant à son profit (profit illusoire d’ailleurs).

D’autre part c’est d’assurer la durabilité des sociétés.

Pour ces deux raisons, pour satisfaire à ces deux conditions, je crois qu’il est important que l’on s’oriente vers une démographie plus modeste. C’est ce que j’appelle la modestie démographique. Cela permettra plus longtemps à des Hommes de profiter de la vie sur Terre. Si les Hommes disparaissent, ils ne jouiront pas de la vie sur notre planète. Cette voie-là, ce n’est pas l’humanisme.

Je vous remercie.
Didier Barthès s'exprime à la tribune