Une planète trop peuplée ?

Le Monde diplomatique contient ce mois-ci (juin) un « Dossier démographie » de 7 pages.

Ce dossier est introduit par un article de Georges Minois intitulé
« Une planète trop peuplée ? » qui reprend en partie les idées déclinées dans son excellent ouvrage dont nous avons parlé ici-même il y a quelque temps. Hormis cet article, qu’il faut marquer d’une pierre blanche, tous les autres s’évertuent à démontrer que la planète n'est pas surpeuplée.
Si nous sommes évidemment satisfaits qu’un grand journal aborde ces questions, nous ne pouvons qu’être déçus par les réponses apportées. Ce d’autant plus que s’il est normal de s’intéresser à la Chine, aux pays arabes et à la Russie, il semble très étonnant de faire l’impasse sur l’Afrique subsaharienne, car c’est en partie là que la croissance démographique future de l’humanité va avoir lieu. Le continent africain qui compte aujourd’hui 1 milliard d’habitants va voir doubler sa population durant les 40 prochaines années et devrait atteindre les 3,5 milliards en 2100, sans pour autant d'ailleurs se stabiliser à ce moment-là. Et s’il est normal de s’intéresser à la récession démographique de la Russie, cette croissance annoncée de 2,5 milliards d’africains valait bien une étude qui aurait pu être confiée à Jean-Pierre Guengant, démographe et spécialiste du continent.

Pour son article intitulé « Fausses évidences sur la population mondiale », Gérard-François Dumont, professeur d’université, a choisi un angle d’attaque pour le moins contestable qui consiste à citer ce qu’il appelle des "poncifs", à savoir : « L’humanité connaît une natalité débridée », « Il faut craindre une véritable explosion démographique » , « Nous allons vivre sur une Terre écrasée par la surpopulation », « Les vagues migratoires Sud-Nord vont nous submerger », qui ont tous en commun de pousser à l’extrême certaines des interrogations actuelles. Il lui est alors ensuite facile d’en montrer l’exagération et donc de discréditer tout questionnement.

Sa phrase « En somme, la "population mondiale" n’existe pas, elle est un agrégat sans signification, addition de réalités si différentes que l’évoquer revient à mélanger pommes et cerises » est à encadrer !
Rappelons tout de même qu’il s’agit bien d’êtres humains d’une seule et même race (homo sapiens), qu’une certaine solidarité les unit, et qu’il est logique de s’intéresser à leur nombre global, ne serait-ce que pour savoir si la planète peut les alimenter, leur fournir suffisamment d’eau et d’énergie et finalement assurer leur bien-être. Sauf à vouloir raisonner pays par pays, coupés les uns des autres comme il semble vouloir le faire, ce qui n’est évidemment plus possible aujourd’hui à l’heure d’une économie (excessivement?) mondialisée. N’oublions pas au passage l’existence de famines redondantes qui nécessitent que certaines régions produisent pour d’autres.
Il est cependant évident que ne faut pas uniquement s’intéresser à la population globale de la planète et qu’il faut bien entendu ensuite pousser l'analyse, régions par régions et bien sûr pays par pays. Il n’empêche que du fait des communications instantanées et de la légitime aspiration des êtres humains à une certaine égalité, le standard de vie occidental exerce une attractivité telle qu’il oblige (à terme) à considérer que justement, pomme et cerise sont bel et bien toutes deux des fruits…

« La baisse sans précédent de la fécondité provoque une nette décélération démographique : le taux annuel moyen d’accroissement est passé du maximum historique de plus de 2% à la fin des années 60 à 1,2% en 2010 ».
La question de la décélération des taux de natalité, servant à prouver que tout s’arrange, est un raccourci pour le moins très osé. En effet les 2% de croissance de 1960 s’appliquaient à une population mondiale de 3 milliards et donc provoquaient une hausse de 60 millions d’habitants par an. Or les 1,2% de 2010 s’appliquent à une population de 6,9 milliards ce qui conduit à une hausse de 82,8 millions ! On voit clairement ici que l’on peut faire dire aux chiffres le contraire de la réalité : en effet, ce dont souffre la planète, c’est bien d’un chiffre brut d’êtres humains…
De plus l’ONU a, tout dernièrement, revu à la hausse ses projections et les 9 milliards cités par l’auteur pour 2050 ne seront qu’une étape vers les 10 milliards prévus en 2100.

« Si ces 9 milliards migraient en totalité aux États-Unis, laissant tout le reste de la Terre désert, la densité des États-Unis serait encore inférieure à celle de la région Ile-de-France ».
Pour que ses habitants de l'Ile de France puissent vivre correctement, au sens où on l'entend aujourd'hui, il faut qu’une grande partie du territoire français produise leur nourriture et stocke ou recycle leurs déchets. Il faut aussi que d’autres territoires plus éloignés extraient l’énergie qui permet aux franciliens de se chauffer, de s’éclairer et de se déplacer. Et donc si la totalité de la population mondiale était concentrée aux États-Unis, il y aurait besoin du reste de la planète pour subvenir à ses besoins, ce qui reviendrait peu ou prou la situation actuelle. Ce genre de constatation : « on pourrait entasser les individus dans un endroit (relativement) petit par rapport au reste de la planète » est tout à fait trompeuse, car dans ce "réduit", ils ne sauraient en rien être autonomes…

L’auteur s’inquiète ensuite du vieillissement de la population. Or, dans les pays émergents comme la Chine (où cette question donne ensuite lieu à un article entier « Quand la Chine grisonnera »), ce vieillissement est en grande partie lié aux excès de natalité des périodes antérieures : tout baby boom délimité dans le temps provoque un papy boom 70 ans après… Et sauf à vivre en baby boom permanent, il y a bien un moment où il faut solder cette situation. Maintenant, concernant les pays occidentaux la qualification « d’hiver démographique » ne se justifie pas car si tout le monde s’accorde sur le fait que c’est une bonne chose de vivre plus longtemps, il est alors normal d’accepter en retour que l’âge moyen augmente en permanence… De plus, la solution de relance de la natalité préconisée au Nord serait une aberration sur le plan environnemental du fait de l’empreinte écologique déjà excessive de cette partie du monde.

C’est d’ailleurs la non-évocation de l’aspect écologique de la question démographique qui est le grand point faible de ce dossier. En effet, comment peut-on, en 2011, éluder le problème de la perte de la biodiversité en général et celle de la faune sauvage en particulier ? Les 97% de tigres éliminés depuis le début du XXème siècle, notamment fait de notre expansion, doivent-ils être simplement passés par "pertes et profits" sans plus nous émouvoir ?
Enfin, la question des ressources énergétiques n’est pas non plus abordée. Et pourtant, l’humanité est en passe d’avoir épuisé le capital de ressources fossiles que la planète avait mis des millions d’années à constituer et nous vivons même à crédit sur le dos des générations futures puisque nous leur laisserons le soin de gérer nos déchets
nucléaires.

Au final, ce que l’on retiendra de ce dossier c’est sa vision anthropocentrée, non-écologiste et court-termiste…